Coupat et Le Monde, dans le texte

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 92 commentaires

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La place et le temps manquent au matinaute



, pour produire une analyse exhaustive de l'interview exclusive que Julien Coupat vient d'accorder au Monde, du fond de sa cellule. De toutes manières, rien ne remplacera la lecture et la relecture de ce texte. Savoir si Coupat est un saboteur efficace, un politique cohérent, ou un philosophe consistant peut se discuter, mais c'est assurément un écrivain, et un génial créateur de slogans percutants. Personne ne sait (sauf lui, et notre invité du mois dernier, son éditeur Eric Hazan, qui ne nous l'a pas dit) s'il est bien l'auteur de "L'insurrection qui vient", mais s'il n'en est pas l'auteur, il a lu le livre avec attention, tant on retrouve, dans l'un et l'autre texte, la même ironie glaciale, jetant un tentacule du côté de Platon, un autre du côté de Foucault, ou le même art de renverser la table par des fulgurances, du genre : "ce n'est pas la prison qui serait un repaire pour les ratés de la société, mais la société présente qui fait l'effet d'une prison ratée". 

Le "geste médiatique" qu'il vient de co-produire avec Le Monde, en livrant depuis sa cellule une très longue analyse poético-politico-philosophique, restera dans les annales de la littérature carcérale. Car il y a bien coproduction. Le signe le plus tangible en est le fait que Le Monde y ait consacré une pleine page. Pour Le Monde, ce volume "fait sens", comme on dit. Une pleine page, comme à un homme d'Etat, un prix Nobel ou, jadis, aux discours de réception à l'Académie Française: par ce choix, Le Monde signifie quelque chose, mais quoi ?

Un indice supplémentaire est donné par les questions du Monde, finalement assez peu judiciaires, et très politico-théoriques. "Vous lisez Surveiller et punir, de Michel Foucault. Cette analyse vous parait-elle encore pertinente ?" "Que signifie pour vous le mot terrorisme ?" "Vous considérez-vous comme un intellectuel ou un philosophe ?" Et surtout cet extraordinaire effort de concision des deux journalistes sans doute entraînées malgré elles dans une vertigineuse compétition du lapidaire, cette question qui aurait pu être un titre durassien : "pourquoi Tarnac ?" C'est le genre de questionnaire que l'on aurait pu faire passer à Aung San Suu Kyi, à Mandela pendant sa détention, ou à n'importe quel détenu politique dans n'importe quelle dictature. Cela en dit long sur le bouleversement des repères, et sur le criant besoin de cris, capables de faire contrepoint au tumulte dominant.

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