Consigny : Ruquier, le récidiviste
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 51 commentaires
Faut-il médiatiser la nomination d'un nouveau chroniqueur chez Ruquier ? Le remplacement de Yann Moix par le jeune polémiste Charles Consigny l'a été presque autant (médiatisé) qu'un remaniement gouvernemental, voire davantage. Il faut dire que la nouvelle recrue est gratinée. Regardez notre montage de présentation. Il n'y manque rien."Faudrait remettre tout le monde au boulot à la SNCF" "Les gens qui vous expliquent que leur quotidien c'est Germinal quand ils finissent la journée à 17 heures" "Est-ce que les gens qui travaillent comme des chiens pour aller dans le 16e ont le droit de ne pas vouloir la mixité ?" "Je pense que le racisme anti-blanc existe"
. C'est le macronisme profond, qui va s'exprimer chaque samedi à la télé.
Avec quelle influence ? Le précédent Zemmour a accrédité l'idée d'une véritable influence politique exercée par cette émission. C'est la longévité de Zemmour chez Ruquier qui l'a implanté dans l'imaginaire. On peut toujours objecter que c'est le contexte lepéniste qui a créé Zemmour. La vérité, c'est que c'est une interaction entre les deux. Poule et oeuf : un contexte raciste trouve son Zemmour.
Pourquoi l'émission de Ruquier est-elle encore considérée comme un lieu central de la "conversation nationale", alors que la TNT a multiplié l'offre de talk shows ? Plusieurs réponses viennent à l'esprit. L'ancienneté; le service public ; la récurrence hebdomadaire qui permet d'enfoncer les clous ; la diffusion éclatée de l'émission en vidéos virales. Mais surtout, sans doute, l'ambiance générale de sympathie que génère l'émission. "C'est le réac le plus sympathique de Paris"
a dit Ruquier de Consigny, le recevant l'an dernier en tant qu'invité. On n'est pas couché, avec son ambiance blagues et applaudissements, rendrait sympathique l'invité le plus austère -même moi, chroniqueur chez Ruquier, je ferais sans doute un boute-en-train acceptable. Cette ambiance cotillons fait mieux glisser en contrebande la propagande politique : sans ses rires désarmants, Zemmour ne serait jamais devenu Zemmour. Encore faut-il que le chroniqueur joue le jeu, et accepte de se rendre "sympa", voir le contre-exemple de l'écrivaine vallso-perchée Christine Angot, qui fait surtout fonction de punching ball pour internautes.
Dans un bienfaisant éclair de lucidité, Ruquier a avoué un jour son regret : "Je regrette d'avoir donné la parole à Zemmour ici chaque semaine
(de 2006 à 2011, NDR). Je suis en train de me rendre compte que j'ai participé à la banalisation de ces idées-là".
Oui, bienfaisant, aussi apaisant que, pour les proches d'une victime, d'entendre aux Assises le criminel raconter son crime. Un an plus tard, il s'entortillait dans un démenti de ce regret. C'est vrai : pourquoi se fâcher avec Zemmour ? Il était tellement sympa ! La récidive est consommée.