Comment dit-on "indémerdable" en allemand ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 174 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Ceux qui doivent avoir besoin d'un décodeur, en ce moment, ce sont les Allemands.
Enfin, une catégorie particulière d'Allemands: les diplomates allemands en poste à Paris, chargés de décrypter pour leur gouvernement les "signes" émis par les socialistes français. Outre les questions sémantiques (une dénonciation de "l'intransigeance égoïste" de Merkel est-elle plus ou moins menaçante que l'appel à la "confrontation" avec elle ?) une question se pose: qui représente qui ? Qui parle au nom de qui ? On serait curieux de lire leurs notes. Vu de loin, on pourrait penser que Bartolone (qui appelle à la "confrontation") et les auteurs anonymes d'un brouillon de résolution du PS (qui dénonçait "l'intransigeance égoïste" de la chancelière, mais vient d'être remanié), grossissent les rangs de la grande rebellion contre l'austérité (même Barroso et Lagarde s'y sont mis ces dernières semaines) et montent à l'assaut du dernier carré, formé par Hollande et Ayrault.
Vu de près, c'est plus compliqué. Ainsi, en lisant à la loupe Le Monde, qui s'était "procuré" le document socialiste boutefeu, on pouvait comprendre que Hollande n'était pas fâché du dérapage socialiste. Voici ce qu'écrivait vendredi Le Monde: "Coordonné notamment par Jean-Christophe Cambadélis, vice-président du Parti socialiste européen, mais surveillé de près par de nombreux ministres et par François Hollande, ce texte encourage à « se confronter politiquement à la droite allemande » pour gagner « la bataille de la réorientation ». Vous avez bien lu. Le Monde a écrit: "surveillé de près par François Hollande". Les deux auteurs de l'article, Bastien Bonnefous et David Revault d'Allones, chercheraient à nous dire, mais sans pouvoir le dire, que Hollande n'est pas fâché de la boulette, je n'en serais pas étonné. De là, pour les Allemands, à en déduire que le pouvoir français est ventriloque, et que Hollande fait dire par le PS ce qu'il ne peut dire lui-même, il n'y a qu'un pas, que ces esprits rationnels franchiront peut-être.
Si près de soixante-dix ans après la capitulation allemande, chaque mot est ainsi pesé au milligramme près, c'est que la relation franco-allemande reste pavée de non-dits et de restrictions mentales. Avec tous les lapsus afférents. Ainsi de l'incroyable histoire du pataquès autour de cette expo du Louvre, retraçant plus d'un siècle de peinture allemande, que détaille ici Alain Korkos. Surestimation manifeste de certaines oeuvres et de certaines écoles, oubli étrange de certaines autres: plusieurs critiques allemands ont estimé que l'expo était construite pour insinuer l'idée que l'art allemand des XIXe et XXe siècles conduisait naturellement, mécaniquement, au nazisme. Traduire: elle a le nazisme dans les gènes. Choix artistique cohérent ? Germanophobie inconsciente des meilleurs esprits français ? Ou pire ? Pour certains, résume Le Monde, le Louvre "serait donc le bras armé d'une Europe méditerranéenne en lutte contre l'ordre germanique qu'incarnerait Angela Merkel". De là à voir encore, derrière l'expo, la main duplice du pouvoir (Ayrault l'a inaugurée en grande pompe)... Comment dit-on "indémerdable" en allemand ?