Combien ça coûte, le journalisme en Afghanistan ?

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 48 commentaires

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"Il faut communiquer sur le coût des recherches des journalistes en Afghanistan. Il faut que les Français sachent combien ça coûte !" aurait intimé Sarkozy à son ministre de la Défense, lors du Conseil des ministres, à en croire une indiscrétion d'Europe 1 ce mercredi matin. Deux journalistes de France 3, qui préparaient un reportage pour le magazine Pièces à conviction, ont disparu depuis une semaine. Le ministre Hervé Morin, aux dernières nouvelles, viendrait de déclarer savoir où ils se trouvent. Et le journaliste d'Europe 1 qui rapportait cet ordre présidentiel de conclure, grinçant, que le pouvoir s'était montré moins loquace sur le coût de rapatriement, aux frais de l'Etat, des deux Françaises condamnées en République dominicaine pour trafic de drogue, et rapatriées à la grande satisfaction du ministre Joyandet, candidat dans leur région d'origine, comme nous le signalions.

Communiquez donc, Morin, puisqu'on vous l'ordonne, qu'attendez-vous ? Combien coûtent-ils à la France, ces têtes brûlées, ces imprudents, qui ont eu l'outrecuidance de ne pas obtempérer aux consignes du service de presse des Armées, et de partir à l'aventure sur les pistes afghanes ? Lancez des chiffres, balancez des millions, des dizaines de millions. Mieux : faites les fuiter, les chiffres ! Il ne manquera pas de rédacteurs de "confidentiels" pour les reprendre, sans que vous ayiez eu à vous salir les mains.

Pouvoir contre presse : ça faisait longtemps ! On est souvent exaspérés par l'hyper-médiatisation des enlèvements de journalistes, dans les régions en guerre. Corporatisme et mauvaise conscience de "planqués" se conjuguant, leurs confrères restés à Paris en font des tonnes pour maintenir l'affaire à la Une, tant que les raptés ne sont pas rentrés à Villacoublay, devant les caméras. Et le ton grinçant d'Europe 1, ce matin, en était encore une manifestation. Pourtant, l'énervemement même de Sarkozy rappelle combien l'information, dans la guerre d'Afghanistan, est un enjeu. Sur cette guerre sale, toute en coups tordus, noyée sous l'intoxication et le storytelling, vraisemblablement déjà perdue, les médias français, pour l'instant, chloroforment davantage qu'ils ne sonnent le tocsin.

Semaine après semaine, Gilles Klein rapporte les enquêtes, les révélations, les coups de gueule de la presse britannique sur le même sujet. Que les Français commencent à leur tour à enquêter, voilà qui doit donner des angoisses nocturnes au grand chef de guerre de l'Elysée, celui-là même qui en 2008, plaisantait sur les cercueils des soldats morts dans une embuscade. Les journalistes sont énervants, mais le journalisme est indispensable.

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