Climat : Vanessa Nakate ou l'Afrique invisible

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 63 commentaires

La scène se déroule le 24 janvier au forum économique de Davos. Cinq jeunes militantes du climat donnent une conférence de presse. Outre Greta Thunberg sont présentes Loukina Tille, Luisa Neubauer, Isabelle Axelsson et Vanessa Nakate. Vanessa Nakate est ougandaise. Elle s'est mobilisée pour le climat, raconte-t-elle, après que son oncle lui a raconté que les températures, vingt ans plus tôt, étaient bien moins élevées. Pendant plusieurs mois, elle a protesté seule, le vendredi et le dimanche, avec ses pancartes, devant le parlement ougandais.

Mais sur la photo diffusée par Associated Press, quelle surprise : elles ne sont plus que quatre, comme elle s'en émeut elle-même sur Twitter


Vanessa Nakate a disparu. Interrogé, le directeur photo de AP, David Ake, répond dans un premier temps que la photo a été recadrée... parce que le bâtiment visible derrière la jeune Ougandaise pouvait être un élément de distraction pour les lecteurs. Il faudra quelques jours, avant que la rédactrice en chef de l'agence, Sally Buzbee, s'excuse tout simplement, à la fois du recadrage, et de la piteuse première explication. Mais comme par malédiction, les invisibilisations s'enchaînent : dans la dépêche AP consacrée à l'affaire, le nom de Vanessa Nakate n'apparaît qu'au quatrième paragraphe. Dans l'histoire telle qu'AP la raconte, la vedette de l'affaire, c'est AP.

On ne saura sans doute jamais ce qui a passé par la tête du photographe d'Associated Press qui a "ex-cadré" Vanessa Nakate. Il ne s'agit sans doute pas de racisme conscient. Mais vraisemblablement d'une sorte de réflexe inconscient, le sentiment vague qu'elle n'est pas à sa place sur la photo. Dans sa tête, la connexion entre "Afrique" et "dérèglement climatique" ne s'est pas faite. Chaque problème à sa place, bien rangé dans son tiroir, et les difficultés du monde seront bien gardées. Tiroir Afrique. Tiroir climat. On ne mélange pas. Les problèmes climatiques sont des problèmes de Blancs, équivalence implicite sans doute renforcée, dans les dernières années, par l'hypermédiatisation de Thunberg. La survisibilisation produit de la survisibilisation, comme l'invisibilisation produit de l'invisibilisation.

À quelque chose censure est bonne. L'incident rappelle qu'il y a des Greta Thunberg sur tous les continents. Il nous rappelle aussi que l'Afrique, continent le moins émetteur de CO2 (en deux semaines, un Britannique aura émis autant de CO2 qu'un ressortissant du Malawi, de l'Éthiopie, de l'Ouganda, de Madagascar, de Guinée ou du Burkina Faso par an, selon les chiffres d'Oxfam) souffre du dérèglement davantage que bien d'autres zones : sécheresses, canicules, incendies, pluies diluviennes. Effet Streisand, une fois de plus, d'une certaine manière.


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