Chut, Ottawa est occupée!

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 200 commentaires

Le mouvement de routiers s'est baptisé "convoi pour la liberté". C'est le 30 janvier que des milliers de poids lourds ont envahi la capitale canadienne, Ottawa, et bloqué le quartier du Parlement, pour protester contre l'obligation vaccinale imposée aux routiers passant les frontières. La plupart sont venus de l'Ouest du pays, franchissant plus de 4000 kilomètres, régulièrement salués le long du chemin par des poignées de sympathisants. Et c'est seulement ce matin, après plus d'une semaine d'occupation klaxonnante, que le monde prend la mesure du mouvement, le maire d'Ottawa ayant déclaré l'état d'urgence, et jugé la situation "hors de contrôle" (déclaration essentiellement symbolique, mais efficace, puisque mondialement reprise).

Sept jours d'occupation d'une capitale du G7 par des poids lourds protestant contre l'obligation de vaccination pour les chauffeurs, et pas une ligne ou presque dans la presse internationale. En France, l'écho du mouvement n'a pas dépassé les réseaux sociaux, en dépit des efforts de la mouvance antivax / antipass, notamment derrière l'activiste d'extrême droite Florian Philippot. Le mouvement a pourtant connu plusieurs développements, sujets potentiels d'épisodes du feuilleton. La plateforme GoFundMe a lancé une cagnotte de soutien aux routiers, puis l'a bloquée après quelques jours, blocage salué par la police d'Ottawa, mais qui a déchaîné la colère du milliardaire libertarien Elon Musk ("voleurs professionnels !"), lequel milliardaire soutient (verbalement, assure-t-il) le mouvement depuis le début. 

La police s'est montrée totalement débordée, plusieurs entreprises locales de remorquage ayant refusé leur concours pour déloger les camions. Depuis une semaine, elle tente d'entraver l'approvisionnement en fuel des occupants, saisissants les stocks, et arrêtant quelques convoyeurs. Le premier ministre Justin Trudeau (à l'isolement pour cause de Covid) a dénoncé "cette minorité très perturbante, petite mais très bruyante, qui s'en prend à la science, au gouvernement, à la société".  Le principal syndicat de transporteurs s'est désolidarisé du mouvement, assurant que "90% des 160 000 chauffeurs de poids lourds canadiens étaient dûment vaccinés".

Par plusieurs de ses aspects, cette occupation rappelle l'assaut du Capitole de Washington ou, de manière plus lointaine, les différents mouvements de Gilets jaunes de 2019. Éléments néonazis minoritaires mais ultra-visibles, forte composante complotiste, classes populaires à la limite du seuil de pauvreté construisant des mobilisations en ligne à l'écart des structures officielles : les dosages des composantes varient. Un point commun : tous ces mouvements, avant leur surgissement public  – et même parfois après  – passent sous les radars des médias traditionnels, ce qui en dit long sur ces médias.


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