Chine, tous humiliés
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 137 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Après les indignés, les humiliés. Humilié, je me sens.
Vous ne pouvez pas savoir. Tout le week-end, avec les passants, les commerçants, nous avons échangé des regards qui en disaient long, des soupirs humiliés. La Chine, évidemment. Quelle humiliation. Et je suis heureux de voir que tous les politiques qui assurent la permanence du pont de la Toussaint, sur les radios du matin, partagent mon humiliation. Au moins, sommes-nous humiliés ensemble. Sur RTL, un humilié (Lamassoure). Dans la salle des quatre colonnes de l'Assemblée, les députés se partagent entre pro et anti appel à la Chine, nous apprend Achilli, sur France Inter. Et quelques minutes plus tard, sur France Inter encore, un humilié (Bourlanges) ressuscite le spectre de la profonde humiliation que nous, l'Europe, avons infligée à la Chine, au XIX e siècle. Comment, vous ne vous en souvenez pas ? Mais l'humiliant Chinois, lui, a la mémoire longue. Le Chinois raisonne en millénaires, quand vous avez déjà oublié les programmes télé de la veille. En un siècle et demi, il a eu le temps d'ourdir sa vengeance. Il la tient.
Si l'appel à la Chine est un peu passé inaperçu dans l'enfumage des premiers commentaires après "l'accord de la dernière chance" de mercredi dernier, il se rattrape depuis, et a repris la pole position. Pas une déclaration publique désormais, sans interrogation sur les "contreparties". Lesquelles ? Personne ne sait. Mais forcément terribles. Sur Rue89, Pierre Haski (ancien correspondant de Libé à Pekin) dresse le catalogue complet: environnement, commerce, monnaie, ventes d'armes. Sans oublier les symboles, bien sûr. Tiens, le Dalaï Lama, celui-là n'est pas près d'être reçu à Paris, ou nulle part, par quiconque. Lisez tout de même jusqu'au bout l'article de Haski, qui rappelle aussi que le gouvernement chinois, tout gouvernement chinois qu'il soit, devra aussi gérer une opposition "nationaliste", fort sourcilleuse sur le gaspillage des yuans publics. Ca relativise un peu les choses.
D'ailleurs, de grâce, si vous croisez un de ces jours un nationaliste chinois radin et sourcilleux, surtout dissuadez-le de regarder notre émission de vendredi, et plus particulièrement l'acte 3. Il y entendrait deux discours scandaleux, ceux de Karine Berger, conseillère de Hollande, et de Jacques Généreux, économiste du Parti de gauche. Tous deux tombent benoîtement d'accord: l'important de l'affaire, c'est que l'Europe va rouler les Chinois, et qu'ils seront fort heureux de se faire (un peu) rouler, se faisant toujours moins rouler que lorsqu'ils prêtent aux Américains. De la bombe, cette émission. Si vous voulez la regarder, dépêchez-vous. Par patriotisme européen, nous n'excluons pas de la désintégrer dans un délai non déterminé.