Brésil : et les preuves arrivèrent, après la bataille

Daniel Schneidermann - - Investigations - Le matinaute - 92 commentaires

C'est fait. Le futur ministre de la Justice du Brésil s'appelle Sergio Moro. La presse l'annonce (ci-dessous, Le Figaro) sans dire l'essentiel : Moro est le juge qui a condamné Lula à neuf ans de prison pour corruption, sans preuve (la condamnation a ensuite été alourdie à douze ans en appel). 

Douze ans ? Sans preuve ? demandera le gros bon sens populaire, à qui on ne la fait pas. Le gros bon sens populaire est incarné ci-dessous par mon excellent confrère Pascal Praud, de chez Bolloré.


Donc douze ans sans preuves, oui, c'est possible. Pour comprendre exactement comment, regardez notre émission de la semaine (exceptionnellement enregistrée dès mercredi). Et pour comprendre pourquoi cette condamnation d'un ancien président, favori de la prochaine présidentielle, n'a pas provoqué l'insurrection populaire qu'elle aurait dû provoquer, regardez aussi notre émission. Elle explique tout. En commençant par le début : l'Amérique du Sud, ce n'est pas l'Europe.

Donc, Sergio Moro sera ministre de Bolsonaro. Il est clair que cette promotion n'est pas de nature à accroître la confiance des peuples envers la Justice, surtout lorsqu'elle s'attaque à des politiques de premier plan. Cela vaut pour le Brésil, mais aussi pour d'autres pays. Vous me voyez venir. C'est Mélenchon qui, dans un récent discours, a suggéré un parallèle entre le sort de Lula, et le sien. C'est de bonne guerre. Et l'accession au rang de ministre du très impartial, très incorruptible juge Moro, est de nature à donner du poids à ce parallèle (sans aller jusqu'au Brésil, on trouve en France des destinées comparables, que l'on se souvienne par exemple de l'incorruptible juge Thierry Jean-Pierre, paix à son âme, tombeur du PS, qui échoua ensuite chez de Villiers et chez Sarkozy).

Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. La Justice a le droit d'enquêter (et la presse d'en rendre compte) sur les dépenses de la campagne de Mélenchon, comme sur toute autre campagne politique. Et la double casquette de Sophia Chikirou, responsable de la campagne et prestataire, rendait cette campagne, d'emblée, légitimement soupçonnable (même s'il semble, d'après notre enquête auprès de professionnels, que cette campagne n'a nullement été surfacturée). Mais le très professionnel procureur de Paris, avec son bandeau d'aveugle sur les yeux, est, dans le système français de nomination, tout aussi légitimement soupçonnable. Soupçons contre soupçons. Une guerre sale.

Ne lisant pas le portugais, je ne peux me plonger dans la presse brésilienne. Mais, au plus fort des investigations anti-Lula, j'imagine qu'il s'est trouvé des journalistes lulistes pour protester contre l'acharnement de Moro. Pour le soupçonner d'être instrumentalisé politiquement. A quoi les confrères qui reprenaient les enquêtes Moro (j'imagine toujours) ont répondu en réclamant des preuves de cette instrumentalisation. Des preuves ! Eh bien voilà. Il arrive que les preuves, dans leur implacable évidence, arrivent après la bataille.

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