Bombay : Barthès dans le bidonville

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 18 commentaires

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Deux voyages. François Hollande est en Turquie, Valérie Trierweiler à Bombay.

Devinez lequel privilégient les JT. Le voyage turc n'a droit qu'à quelques secondes de "off" au 20 Heures de France 2. Qui, au contraire, s'attarde longuement sur la visite de "l'ex-Première dame" à Bombay. C'est un voyage humanitaire. Il y est question de la malnutrition infantile. Mais le JT se fout bien de la malnutrition. Montrer la horde de reporters autour de Trierweiler, voilà tout ce qu'il veut. Et le profil de l'ex, penchée sur une fillette hospitalisée. Et si possible une confidence, une larme, un tremblement de la répudiée.

Obscénité si prévisible. Avant même le début du JT, on savait que ce serait ainsi. On l'aurait parié. La Turquie, la malnutrition infantile, ne sont que des décors. Le seul intérêt des JT, c'est de dérouler inlassablement le même petit feuilleton. N'eût été "la séparation", le voyage de Trierweiler serait passé totalement inaperçu, et le voyage de Hollande en Turquie aurait été réduit à un extrait sonore sur la défaîte contre le chômage. Quoi ? Que dites-vous ? Hollande a annoncé un référendum sur l'entrée de la Turquie dans l'UE ? Il a exhorté les Turcs au "devoir de mémoire" sur le génocide arménien ? OK. On en parlera une autre fois.

Dans cette obscénité prévisible, le Petit Journal se distingue. Comme prévu d'abord, l'équipe de Yann Barthès souligne l'obscénité du déséquilibre entre Monsieur et Madame, dans les journaux de 13 heures. Comme prévu, l'équipe se vautre dans la même obscénité (mais au second degré), en diffusant les mêmes images de cohue de photographes. Mais soudain, les reporters font volte face. Ils quittent la meute, et se dirigent, à quelques centaines de mètres, vers un bidonville de Bombay, installé sur des voies ferrées désaffectées. Barthès, triomphant : "on va vous montrer pourquoi Valérie Trierweiler est là. On va vous montrer les raisons de la malnutrition infantile". Interviews d'enfants : "alors, quand avez-vous mangé pour la dernière fois ? Vous avez fait un repas, aujourd'hui ?" Eclatants sourires des enfants. Témoignages des mères, des grand mères. Double impression : le soulagement d'abord, l'honneur est sauf, on a enfin quitté la meute immonde. Mais pourquoi ? Pour être rédemptés par Yann Barthès. Pour nous inscrire dans un nouveau tableau, Barthès penché sur notre misère morale de condamnés à l'obscénité, comme la dame venue d'ailleurs est penchée sur l'enfant de l'hôpital.

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