Beyoncé et Jay-Z raptent le Louvre

Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 28 commentaires


Les professionnels de la grinche y parviendront peut-être, mais on aura bien du mal à construire un scandale promotionnel avec le clip-surprise de Beyoncé et Jay-Z au Louvre, dévoilé ce week-end. On pourra toujours tenter. Il fallait entendre France Inter ce matin, évoquer avec des chevrotements de vicomtesse les danseuses en tenue légère -alors que toutes les  danseuses du clip sont vêtues de justaucorps couleur chair- et se refuser pudiquement à traduire le nom du clip, "Apeshit", lequel ne signifie pas "crotte de singe", mais plutôt sucette, dans le sens de "partir en sucette". On aura cependant du mal, tant l'Office de Tourisme de Paris, Anne Hidalgo, et tout le gouvernement, pourraient s'approprier le fruit magnifique de cette appropriation hautement consentie.

Splendeur des drapés, harmonie du dialogue du fluide et du figé, assauts du fluide sur le figé, comme des vagues qui viendraient tableauter en moutons moutonnants autour des rocs-repères de la Culture Occidentale : oui, certes, d'accord, des arrière-petits enfants d'esclaves dansent aux pieds de ce Bonaparte, qui rétablit l'esclavage à Saint Domingue. Mais c'est une bien sage revanche. Oui, d'accord, des visages et des corps noirs ont privatisé deux nuits de suite les grandes galeries de la blanchitude. Mais il était bien temps (avez-vous écouté Rokhaya Diallo, dans notre émission ?

Rien à voir avec l'incongruité de la téléportation d'un Jeff Koons à Versailles, par exemple. Ici, ce n'est pas un orgueilleux caprice de mécène, qui a présidé à l'écriture du clip, mais bien un désir d'artistes, une proposition d'hommage, conclue en dialogue fusionnel.  Au total, c'est bien à des épousailles que l'on assiste, épousailles du rap et de l'Occident muséifié, un rapt si l'on veut, mais tellement révérentiel. Tout à l'émerveillement, n'oublions pas non plus que c'est bien une rédemption inespérée qu'offre le couple à la France de 2018, cette France qui se laisse de si bonne grâce investir deux nuits de printemps, et se refuse hautaine aux bateaux des miséreux.


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