Berlusconi : le cancre et ses profs
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 29 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Si vous n'y comprenez rien, regardez l'image.
Toute la crise européenne (enfin, disons une bonne partie) est dans cet échange de sourires, entre Sarkozy et Merkel, à propos de Berlusconi, sourires qui ont déchaîné hier la presse italienne (on la comprend). Admirons d'abord le tempo: Merkel, à l'évocation de Berlusconi par une journaliste, sourit d'abord en solo, sans regarder Sarkozy, avant de réprimer son sourire. Reprenant son visage officiel, elle se tourne vers Sarkozy et c'est lui (sans avoir vu le premier sourire de Merkel) qui, par son propre sourire, autorise donc la chancelière à sourire "officiellement". C'est lui qui ouvre les vannes: pas la peine de faire encore de la langue de bois et de se la raconter, l'heure est grave. |
Jusqu'ici, la séquence conforte donc le message souhaité à l'évidence par les metteurs en scène: la complicité franco-allemande, construite sur la symétrie. Symétrie des pupitres, des regards, des sourires. Cette (exceptionnelle) conférence de presse conjointe a été montée pour ça : afficher, entre les deux partenaires de "l'axe", du "moteur" franco-allemand en perdition, complicité, égalité et symétrie. La France n'est pas "le caniche de l'Allemagne" (thème qui monte dans lémédias français) Sarkozy n'est pas "un partenaire junior" (Moscovici). Egalité parfaite, diumvirat dirigeant, et aux incrédules, on exhibe en live le golem Merkozy. La France est du côté de l'Allemagne, du côté des vertueux du Nord au AAA indemne, pas des loqueteux du Sud maudit, et l'Allemagne, bonne pâte, accepte de valider le scénario.
Celui qui fait naître chez eux ces sourires symétriques, c'est donc l'icône du Sud maudit, Berlusconi. Cavaliere, combinazione, belles paroles, mandoline et bunga bunga: c'est toute cette Italie des clichés, qui passe en gondole dans le duo de sourires. On sent qu'il les a squattées, leurs conversations téléphoniques, le lascar. Ces sourires sont ceux des deux profs principaux au conseil de classe, à l'instant d'aborder le cas du cancre emblématique, de la légende vivante du lycée, tellement cancre, tellement filou, mais tellement sympa, au fond, qu'il est impossible de lui en vouloir.
Oui, sympa. A la complicité des profs, se superpose une étrange complicité virtuelle avec le cancre lui-même. Car enfin, ils sourient. En toute logique, ils ne devraient pas. Si vraiment c'est l'Italie qui risque de faire plonger définitivement l'euro, et l'Europe avec, si c'est l'Italie qui risque de faire capoter le grand rêve, alors ils devraient cracher la fumée, fulminer, exhiber leur désespoir impuissant. Mais non. "Ce vieux filou de Silvio": voilà ce que dit le sourire des deux dirigeants conservateurs, à l'instant où s'allume dans leurs yeux l'image du troisième. Ce vieux filou avec ses filouteries, mais qui sont aussi les nôtres, puisque nous faisons tous, tous autant que nous sommes, filouteries communes depuis toujours, depuis qu'on triche avec les règles communes que nous fixons pourtant ici, à Bruxelles, et oublions sitôt rentrés chez nous. Tous nous filoutons ce système commun, ce surmoi étouffant de nos règles, que personne ne respecte (ou tout au moins, dans le cas de l'Allemagne, nous fermons les yeux). Et à minuit moins cinq, à quoi bon le cacher encore ?