Benvenuto a Parigi, Mimmo Lucano !

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 81 commentaires

Chez mon ami Google Actu, je cherche ce matin Mimmo Lucano. Et je ne trouve rien. Enfin si : ressortent les suspects habituels, Reporterre, L'Humanité, Charlie, les blogs de Mediapart. Ni CNews, ni BFMTV, ni LCI, ni Franceinfo, aucun grand quotidien, aucune radio. Ni dépêche AFP (et rien non plus dans le moteur de recherche d'ASI, dois-je reconnaître). C'est en toute discrétion médiatique que Domenico (Mimmo) Lucano a été honoré hier soir à la Bourse du Travail, à Paris, dans une salle pleine à craquer (sur les photos, on reconnait les élus insoumis Éric Coquerel et Danielle Simonnet).

Lucano est l'ex-maire de Riace, village de Calabre où il a initié, au début des années 2000, une expérience pionnière d'accueil et d'intégration de migrants afghans, érythréens, ou irakiens. Son village en voie de désertification s'en est trouvé revivifié. L'expérience de Riace a fait l'objet d'une curiosité mondiale. Lucano a été classé par le magazine Fortune, en 2016, parmi les cinquante "personnalités les plus influentes de la planète". Son expérience a été racontée dans un livre autobiographique, traduit en français (Grâce à eux, comment les migrants ont sauvé mon village, Buchet-Chastel). Wim Wenders lui a consacré un court-métrage. Matteo Salvini, ex-ministre de l'Intérieur d'extrême droite, lui voue une détestation personnelle. 

Mimmo Lucano a été condamné en septembre 2021 à treize ans de prison – le procureur avait requis sept ans – pour "escroquerie, abus de biens sociaux, fraude aux dépens de l’État et aide à l’immigration clandestine." Ayant fait appel, il a été laissé libre, mais interdit de séjour à Riace. Il n'est nullement soupçonné d'enrichissement personnel.  Il est accusé, sur la foi d'une écoute, d'avoir incité une migrante à se marier pour pouvoir rester en Italie. Il a aussi accepté (autre écoute) de délivrer une carte d'identité à une autre migrante, qui ne disposait pas de permis de séjour en règle. Surtout, il a attribué, sans appel d'offres, un marché de ramassage d'ordures à une coopérative liée aux migrants. Lucano reconnaît des erreurs administratives, mais estime que treize ans est une peine exagérée. Le procureur a pris soin de préciser : "Ceci n’est pas le procès de l’objectif noble et réel de l’accueil. […] L’enquête a concerné la mauvaise gestion des projets d’accueil et les vraies victimes sont les immigrés eux-mêmes, vu qu’ils n’ont reçu que les miettes des financements de l’État."Il a néanmoins requis sept ans d'emprisonnement.

Mimmo Lucano devrait être un héros de la gauche, toute la gauche, et au-delà. Mais dans ces temps de terreur du "grand remplacement", Riace n'est pas à la mode. Oui, le maire Lucano a organisé à Riace un "petit remplacement". Oui, il a autorisé les migrants à occuper des maisons abandonnées par leurs propriétaires, dans ce village qui se mourait, et où les nouveaux occupants, lis-je, ont ressuscité les traditions de la céramique, du tissage, du pressage d'huile d'olive, et j'en oublie. Oui le silence général sur Lucano est un signe, parmi d'autres, de la terreur intellectuelle bolloréenne. Benvenuto a Parigi, Mimmo Lucano !

(Remerciements au correspondant en Italie de Libération, Éric Jozsef, à qui j'emprunte la plupart des informations citées ici).


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