Bebelo-attristés et bebelo-indifférents

Daniel Schneidermann - - Fictions - Le matinaute - 63 commentaires

D'abord, il y a les bebelo-tristes, simplement tristes, d'une tristesse qui n'a pas besoin de longues explications, l'immense majorité, tant Bebel est une évidence de nos enfances et de nos vies, une bebel-évidence, un petit morceau de nous-mêmes, chacun le sien, hélico ou cigare, flic ou voyou. Le mien n'a ni hélico ni cigare, il n'a besoin que d'une chambre d'hôtel miteuse, d'un chapeau, et d'un Anconina aux yeux ronds, mais je ne suis pas là pour parler de moi. Tous ces Belmondo s'exhibent dans les choix icono des Unes - choix qui permettent, soit dit en passant, de cartographier la concentration de la presse quotidienne régionale aujourd'hui. 


Mais cette bebelo-unanimité est factice. Très vite, comme escargots après l'ondée, sortent du bois les bebelo-récupérateurs. Les premiers sont les bebelo-réacs, les Touche pas à mon Bebel, les Ah c'était tout de même autre chose, Zemmour en tête, bien entendu
("Une certaine incarnation de l'homme français nous quitte"). Le temps où les mecs étaient des mecs, les filles, au choix, James Bond girls ou cocogirls, le temps où trônaient sur l'écran tous les interdits supposés d'aujourd'hui : whisky, cigares, voyous au grand cœur, drague lourde (quoiqu'élégante), bagnoles rapides, le mythologique âge d'or pompidolien où fallait pas emmerder les Français,  bref "cette élégance française à l'ancienne qui manque beaucoup au cinéma" (Marine Le Pen). 

C'était donc ça, Bebel ? Oui et autre chose aussi. À la polyphonique déploration réac, la gauche rappelle opportunément que le garçon,  avant de tourner icône patrimoniale pour temps de confinements (voir notre émission PostPop), dirigea le syndicat des acteurs CGT avec de bébelles interviews revendicatives (même si le Maitronrappelle cruellement que la greffe n'a pas pris tout à fait). En 2017 encore, il proclamait d'ailleurs voter "contre Marine Le Pen".

On pouvait tout de même croire à l'universalité de cette querelle nationale, avant que survienne dans la foulée immédiate la mort par vraisemblable overdose de Michael K. Williams, le Omar de The Wire, autre justicier déjanté, flic et voyou à sa manière, faisant sortir du bois d'autres attristés, restés silencieux sur Bebel, bebelo-indifférence qui révèle qu'une mythologie, aujourd'hui, a succédé à une autre.

(Illustration Compte Twitter Cyril Petit)

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