Baupin, procès live

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 45 commentaires

Un procès, malgré la prescription. Si les faits de harcèlement et d'agression sexuels reprochés à l'ancien vice-président de l'Assemblée Denis Baupin (EELV) étaient prescrits lors de leur révélation en 2016 dans Mediapart et sur France Inter, le procès se tient tout de même. Grâce à Baupin lui-même. Attaquant les deux medias en diffamation, il leur a permis de transformer ce procès de presse en procès Baupin, les prévenus faisant citer à la barre, en tant que témoins, toutes les femmes victimes (voir ici notre émission avec une de ces victimes, Sandrine Rousseau).

Parmi les journalistes qui rendent compte de ce procès, Marie Barbier, de L'Humanité, a choisi de le live-tweeter. Tout au long de la journée d'hier, ce sont des dizaines de tweets, qu'a envoyés la journaliste. Et cette couverture donne au lecteur une impression de réalité, rarement atteinte par la couverture traditionnelle d'un procès -un article rédigé en fin de journée, résumant la journée d'audience, ou même le procès en entier.

Comment expliquer cette différence d'efficacité ? Quiconque a déjà assisté à un procès d'Assises, ou de correctionnelle, l'a expérimenté : une audience, c'est long. Entre les rares "grands moments" qui fourniront le plat de résistance des compte-rendus journalistiques, ce ne sont que témoignages filandreux souvent hors-sujet, incidents de procédure sans intérêt, péripéties répétitives, harcèlement de témoins par les avocats, ou par le procureur. Et c'est justement cette répétition, que restitue un live-tweet intensif, comme celui de Barbier. Le lecteur y est. Il n'échappe à rien. Il est retenu dans la salle, comme le public, les témoins, les journalistes.

C'est d'ailleurs un double harcèlement que restitue Marie Barbier. Livrant les témoignages des victimes, elle relate leur harcèlement par Baupin. Mais aussi, à l'audience, le harcèlement verbal de ces mêmes femmes -et des journalistes poursuivis- par l'avocat de Baupin, Emmanuel Pierrat. Lequel, comme le montrent les tweets de Barbier eux-mêmes, est parfaitement conscient que chacune de ses répliques, chacune de ses piques, est diffusée en temps réel sur le réseau social.

Tellement conscient, que Pierrat lui-même joue avec la journaliste, en diffusant lui-même sur Twitter des SMS des victimes versés au dossier, censés démontrer la complicité des femmes avec les "jeux de séduction" de Baupin (avant le procès, Pierrat avait déjà tenté dans la presse, sans grand succès, ce moyen de défense). Echanges vertigineux à la black Mirror, où l'on se dit qu'on pourrait bien, après tout, se passer de magistrats, de convocations, et même de tribunal, tout ce dispositif suranné et coûteux (à noter que Pierrat a très vite supprimé le tweet ci-dessous, sur injonction du président du tribunal. Il est cependant possible de le retrouver ici).

Cette "impression de réalité" n'est qu'une impression. Pas davantage que les Facebook live des Gilets jaunes, réputés par eux plus fiables que les compte-rendus journalistiques,  ce mode de médiatisation n'efface la médiation elle-même. La journaliste semble s'effacer, mais elle ne s'efface pas du tout.  Choisir ce que l'on dit, c'est toujours choisir ce que l'on ne dit pas. Synthétiser une minute en 280 signes est un réel savoir-faire journalistique, en même temps qu'un choix, comme toujours.


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