Avortements sélectifs GB : derrière la petite bombe du cardinal Barbarin
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 89 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et le matinaute tomba de sa chaise, avec Jean-Michel Aphatie.
Le cardinal et archevêque de Lyon, Philippe Barbarin, était convié sur RTL pour disserter de la visite au pape de François Hollande, prévue dans la matinée. Alors, demande Aphatie, aborderont-ils les sujets qui fâchent ? La bonhommie incarnée, ce Barbarin. Il vous ferait passer une manif anti-avortement pour une sympathique kermesse de patronage. Et là, sans prévenir, boum : "personne n'en parle, mais en Grande-Bretagne, avec l'avortement, on pratique l'eugénisme. Les femmes avortent de préférence de foetus féminins" (exactitude de la citation non garantie, mais c'est l'esprit). Stupeur d'Aphatie. Et des auditeurs.
Clic clic clic, le matinaute matine donc. Et voici l'affaire. En 2012, le quotidien conservateur Daily Telegrapha placé des caméras cachées sur neuf femmes enceintes, de différentes origines ethniques, notamment indo-pakistanaises. Toutes sont allées visiter des médecins, et ont demandé à avorter, en expliquant qu'elles attendaient des filles (la législation locale prévoit qu'on peut avorter jusqu'à 24 semaines, contre 12 en France, ce qui permet de connaître avec certitude le sexe du bébé). Sept médecins ont refusé. Deux (à Manchester et Birmingham) ont accepté. L'histoire ne s'arrête pas là. Une enquête de police a été ouverte. Et en septembre 2013, le Daily Telegraph, suivant l'affaire, a révélé que le parquet avait décidé "dans l'intérêt du public", de ne pas poursuivre les deux médecins. A la suite de quoi, le ministre de la santé, Jérémy Hunt, a rappelé que des avortements fondés sur le choix du sexe étaient "hors la loi, et totalement inacceptables".
Mais la petite bombe de Barbarin ne se fonde pas seulement sur une enquête de presse. Une étude de l'université d'Oxford, menée sous la direction d'une chercheuse française, Sylvie Dubuc, a aussi révélé que les mères d'origine indienne qui accouchent en Grande-Bretagne affichent, à partir de leur 3e enfant un ratio garçon-fille nettement déséquilibré (113 garçons pour 100 filles entre 1990 et 2005, contre 105 garçons pour 100 filles pour la moyenne nationale). Ce déséquilibre ne s'observe pas pour les mères originaires du Pakistan ou du Bangladesh.
Pourquoi Aphatie et moi sommes-nous tombés de nos chaises ? Parce que Barbarin a raison : on ne peut pas dire que cette enquête du Telegraph, et ses suites, aient été fortement médiatisées en France, alors que l'affaire est tout de même de nature à nourrir le débat sur l'avortement. Accessoirement, ce silence pose des questions sur la relative inefficacité, en la circonstance, de la cathosphère, qui a pourtant prouvé sa force d'influence dans d'autres occasions récentes. Mais quelque chose me dit que ça ne devrait pas durer. Si Sylvie Dubuc ne veut pas passer sa journée à répondre à tous les talk shows français, elle a fortement intérêt à se mettre sur messagerie aujourd'hui.