Aubry, le tous pourris, et le "post-matérialisme"
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 24 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
L'élection municipale passée, Hénin-Beaumont
va retourner à l'obscurité médiatique nationale, dont elle n'est que brièvement sortie. Car la France est aussi ce pays dans lequel un maire peut être mis en examen et incarcéré, sans susciter de curiosité particulière de la presse nationale. Samedi dernier encore, à la veille du second tour, Le Monde interviewait Martine Aubry sur une pleine page. Grande photo, deux intervieweurs (Françoise Fressoz et Jean-Michel Normand) : c'est le dispositif des grands jours. Première question : "le Front national menace de remporter dimanche l'élection municipale à Hénin-Beaumont. Comment en est-on arrivé là ?" Réponse d'Aubry : "les habitants d'Hénin-Beaumont souffrent du chômage, de l'image de leur ville, de la gestion financière catastrophique qui a conduit à augmenter les impôts sans que la situation s'améliore". |
Il faut tout lire et relire, dans cette première réponse. Dans l'ordre, ce sont donc "le chômage, l'image de la ville, et la gestion financière catastrophique" qui ont conduit à la montée du Front National. Pas un mot d'Aubry sur les malversations financières présumées, pour lesquelles le maire a été mis en examen (des fausses factures pouvant atteindre jusqu'à quatre millions d'euros, l'enquête s'orientant, selon la procureure de Béthune, vers l'enrichissement personnel). Il est vrai que Henin-Beaumont est situé à une trentaine de kilomètres de Lille. C'est loin, trente kilomètres.
Les questions, ou plutôt les non-questions de nos confrères, sont tout aussi intéressantes. Après une deuxième question sur le sujet ("Pourquoi ne pas vous être rendue dans la ville ?") ils égrènent la liste de courses habituelle : Hollande, Valls, Delanoë, Royal, les Verts, etc. L'un des deux intervieweurs, Jean-Michel Normand, connait pourtant bien le dossier. C'est lui qui avait signé, le 18 avril, le seul article d'enquête jamais consacré au sujet par le journal, et mentionnant le détail des détournements. On y apprenait notamment que les enquêteurs avaient découvert, dans le bureau de l'ancien maire, un coffre contenant 13 000 euros en espèces. L'ancien maire avait assuré en ignorer l'existence. Dans un édito publié au lendemain du vote, Le Monde renvoyait certes Aubry à sa cécité. Mais pourquoi ne pas l'avoir confrontée aux détails triviaux du "tous pourris", plutôt que de la laisser disserter sur le "bien-vivre ensemble" et le "post-matérialisme" ?