Au fait, le "Système", c'est qui ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 74 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Sale temps pour le Système. Tous contre le Système.
S'agissant des Le Pen, ce n'est pas nouveau. Mais voici que surgissent de partout des pourfendeurs du Système. Ancien banquier d'affaires, inspirateur de la politique économique de Hollande, Macron va dynamiter le Système. Il va le pulvériser. Le réduire en bouillie. Pourvu qu'il en laisse un peu pour Valls, exécutant de la politique des cinq dernières années, et autre candidat dynamiteur. Bref, à eux tous, ils ont réussi à vider de tout sens ce mot-valise (à supposer d'ailleurs qu'il ait déjà eu un sens. Le Système, c'est les autres).
C'est aux Etats-Unis, au centre même du Système mondial, que va se produire le dynamitage fondateur, dès que le Dynamiteur en chef sera entré en fonction, le 20 janvier prochain. Mais au fait, là-bas aussi, c'est qui, "le Système" ? Des anciens de Goldman Sachs, le PDG d'Exxon, que Trump se propose de nommer à des postes-clé de son administration, ne sont-ils pas des figures du Système ? Manifestement non, aux yeux de Trump. Pas davantage que les fondateurs d'Amazon ou de Google qui se pressaient hier autour de lui, au 25e étage de la tour Trump, à New York. Jeff Bezos, Tim Cook, Larry Page, Eric Schmidt, les mêmes noms de légende qui se pressaient naguère autour d'Obama. Seul des géants, Twitter n'était pas représenté. Mark Zuckerberg n'y était pas personnellement, mais Facebook était néanmoins représenté. La "Valley" a joué Clinton, elle a perdu, elle a donc traversé le continent pour venir renifler le nouveau pouvoir fédéral. Certains se jettent dans l'eau froide avant d'autres. Elon Musk, l'homme de tous les projets fous, conseillera Trump. Bill Gates pense que Trump peut être "le nouveau Kennedy". Les autres se taisent prudemment. Mais ils étaient là, au 25e étage.
Ce qui va se jouer, sur scène et en coulisses, c'est l'organisation à venir du "Système", c'est à dire les futurs rapports entre les organes d'Etat, et les géants de l'Internet. Comment coopéreront-ils (ou pas) ? Comment chacun tentera-t-il de réduire l'autre ? L'affaire de San Bernardino en a récemment donné une illustration : le FBI et Apple se sont affrontés pendant plusieurs semaines, le premier demandant en vain au second de l'aider à débloquer le smartphone de l'auteur de la tuerie (finalement, le FBI s'est passé de l'aide d'Apple). Comment se joueront, à l'avenir, les épreuves de forces à la "San Bernardino", entre Apple, Google, Facebook, détenteurs de précieuses données, et les organes de la sécurité d'Etat ? La toute récente demande, par l'équipe de transition, de la liste des fonctionnaires américains ayant touché de près ou de loin aux questions du réchauffement climatique, est de nature à nourrir toutes les peurs.
Vers la fin de son compte-rendu de la réunion du 25e étage, le New York Times rappelle que des ingénieurs de la "valley" ont d'ores et déjà annoncé qu'ils refuseraient de collaborer à des bases de données fondées sur des critères ethniques, raciaux ou nationaux. Ce qui est en train de se construire sous nos yeux (ou non) c'est la tenaille de tous les cauchemars, entre un pouvoir d'Etat raciste et xénophobe, et la toute-puissante industrie du numérique, héritière si lointaine des utopies libertaires des années 60. C'est un des (nombreux) points, sur lesquels il faut porter le regard.