Armstrong, Drucker, l'offre et la demande
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 84 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Incroyable: Drucker chez Pujadas.
Et pour une fois, non pas en autopromo, mais en repentance implicite. Car Drucker est "un des rares Français à avoir été proches de Lance Armstrong"(revoir ici Drucker en agent d'Armstrong). A l'heure où Armstrong est rejeté aux poubelles du cyclisme, voici donc l'icône Drucker, mécaniquement, dans le rôle du complice de la racaille. Pujadas ne le dit certes pas (on est tout de même entre confrères de France 2) mais on l'entend: alors, vous saviez, et vous nous avez tout caché ? En langage Pujadas, ça se traduit: "Est-ce que vous êtes déçu, est-ce que vous êtes triste ? Quel sentiment avez-vous pour lui aujourd'hui ?" Et commence alors un grand numéro d'indulgence druckerienne, autour du thème: les cyclistes n'avaient pas le choix: "Ce qu'on demande aux premiers, c'est tellement énorme comme effort (...) Si l'EPO avait existé dans les années 50, les grands anciens en auraient pris. (...) Il y a des moments où on ne peut pas faire autrement." Autrement dit: vive la dope !
Quelques minutes plus tôt, au Grand Journal, son ex-confrère de France 2 Patrick Chêne sortait un autre argument, moins niais et plus pertinent: quand une année, lors de nos reportages, on a commencé à parler de dopage, racontait-il, on a reçu des lettres d'insultes. Les gens ne voulaient pas savoir. (Accessoirement, il faudrait retrouver les reportages dans lesquels Patrick Chêne évoquait le dopage. Je n'en ai pas le souvenir. Je me souviens plutôt des courageuses enquêtes de son confrère Alain Vernon. Mais je peux avoir des trous). Sans qu'il le dise, on est prié de déduire seul les raisons pour lesquelles Chêne a appuyé sur la pédale de frein. A quoi bon seriner ce que le public refuse de savoir ?
Je crois volontiers Patrick Chêne. Il est en effet hautement probable qu'une grande partie des fans du Tour désirait ardemment ne rien savoir. Et alors ? La réflexion de Chêne dépasse non seulement le cyclisme, mais même le journalisme sportif. L'ingrate mission du journaliste, c'est aussi de répéter inlassablement ce que ses lecteurs, ses auditeurs, ou ses internautes, ne veulent pas savoir. De sonner du cor, à s'en faire péter les poumons, dans des oreilles bouchées. Cette mission, disons-le, est totalement antinomique avec le caractère privé de la plupart des entreprises de médias. A elle seule, elle devrait justifier l'existence d'un puissant service public, financé non par ses clients, mais par le contribuable, et théoriquement à même de fournir une information dégagée de la loi de l'offre et de la demande. Théoriquement.