Armes : la France et les menteurs

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 70 commentaires

De mémoire de Matinaute, je n'avais jamais vu Jean-Yves Le Drian en colère. Du ministère des Armées au Quai d'Orsay, de Hollande à Macron, Jean-Yves Le Drian me semblait une froide et impavide incarnation de la raison d'État. Des dictatures pétromonarchiques, notamment, Jean-Yves Le Drian endurait tout. Les dissidents assassinés et coupés en morceaux,  les coups de fouet, les procès sommaires. Même les grèves de la faim des opposants emprisonnés ne le faisaient pas fléchir. Héroïquement, au nom de la raison d'État et des Intérêts Supérieurs, Jean-Yves Le Drian surmontait sa répulsion (car comment ne pas imaginer cette répulsion ?)

Mais sous l'écorce battait un cœur sensible. Face à Laurent Delahousse, samedi soir, Le Drian n'a pas été capable de retenir la colère accumulée par la trahison australo-américano-britannique à propos des sous-marins. "Biden, c'est Trump sans les tweets". "L'opportunisme des Britanniques", qui sont "la 5e roue du carrosse" etc, etc : expliquant le rappel des ambassadeurs à Washington et Canberrail a enchaîné les punchlines, qui ont fait la joie des réseaux sociaux pendant une partie du week-end.

Mais surtout, ce qui a bouleversé Jean-Yves Le Drian, c'est le mensonge. En matière de vente d'armes, la France ne supporte pas le mensonge. Elle ne pratique pas les contreparties occultes, les commissions et surcommissions versées aux intermédiaires, en échange de financements politiques. La France, surtout "entre alliés", ne pratique que les négociations franches, ouvertes, transparentes, démocratiques, durables, éthiques et en circuit court. C'est bien simple : on pourrait installer des webcams dans les salles de négociations, ça ne la dérangerait pas, la France. Ah, quelle douleur de penser qu'au dernier G7, le Britannique, l'Américain, l'Australien, se voyaient en cachette. Riaient de nous, peut-être. Comme un époux trompé, il ne peut s'empêcher, Le Drian, de revisiter la nuit tous ces instants d'un bonheur mensonger.

Et maintenant les Suisses, après les Australiens ? On avait appris au début de l'été que les Suisses, plutôt que le Rafale de Dassault, avaient choisi le F35 américain. Coup de tonnerre sur les Alpes, apprends-je dans Le Monde : l'invitation à l'Élysée pour une réunion de travail, en novembre, du président en exercice de la confédération, "ne serait plus d'actualité". Les Suisses en seraient "éberlués". L'article, à l'heure où j'écris, est le "plus lu" du site du journal, avant même les résultat de la primaire écolo. Et là encore, ce qui a motivé le sursaut de la France, ce n'est même pas que ces Suisses aient préféré le F35 américain. Non. Ils ont le droit, bien entendu. Ce sont, les "pratiques helvétiques de négociations sinueuses". Sinueux étrangers ! Et pourtant, cette France si amoureuse des accords francs et transparents avait promis aux Suisses, en contrepartie, "une forme de soutien" à la Suisse dans ses négociations avec l'UE (dont, heureux hasard, elle assurera la présidence à partir du 1er janvier prochain). Un semestre au piquet, les Suisses ! Malheureuse France, isolée dans sa candeur dans un monde cruel.


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