Aphatie, et la souffrance de Guéant
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 145 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
"Vous souffrez de l'image qui est la vôtre dans le débat public ? Vous souffrez ?"
Qui interroge-t-on ainsi, de bon matin, sur sa souffrance ? Sur quelle détresse se penche-t-on, avec cette sollicitude ? Cette souffrance, c'est celle de Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, qui vient d'entamer avec succès la nième séquence diversion sur les étrangers. Et quel est le bon Samaritain qui se penche sur cette souffrance, offrant ainsi aux auditeurs quelques instants de compassion, dans ce monde de brutes ? Aphatie évidemment, Aphatie bouleversé, Aphatie transfiguré par la souffrance de son invité du matin. O instant de grâce. L'inflexible, l'impitoyable Aphatie, sans pitié pour les Joly, pour les Mélenchon, pour tous ces zozos qui polluent le débat public, Aphatie se penche sur le petit coeur qui bat, sous la rude écorce ministérielle.
Si Guéant souffre, c'est parce que l'infâme brûlot hébertiste Libération le place ce matin à la Une, l'assimilant à Marine Le Pen. Alors que Guéant n'a rien à voir, strictement rien, avec Marine Le Pen, explique-t-il à Aphatie, surmontant sa souffrance avec une dignité qui force l'admiration. Le Pen veut réduire en valeur absolue le nombre d'étrangers qui entrent en France. Guéant, lui, souhaite simplement le réduire en pourcentage, de 10%, comme les niches fiscales. Un simple, un tout simple, un très humain coup de rabot, ce qui, on en conviendra, n'a strictement rien à voir. |
On s'en tient là. Tout à sa compassion, Aphatie n'a pas eu le temps d'ouvrir le brûlot de Demorand, ce qui se comprend bien. On ne peut pas tout faire. L'eût-il fait, il eût trouvé quelques questions à poser à Guéant. Car Cédric Mathiot, spécialiste des Désintox de Libération et fin connaisseur des pataugeages de chiffres guéantiens (nous le recevions récemment sur le plateau) ne s'en tient pas aux condamnations antisarkozystes habituelles. A propos de la nouvelle diversion Guéant, il a plongé dans les détails (lieu où se niche, comme chacun sait, le diable). Où donc Guéant va-t-il trouver ses 10% ? Ni dans l’immigration familiale (autour de 85 000 entrées), ni dans le droit d’asile (8 500 entrées en 2010). Restent donc l’immigration économique (30 000), ainsi que celle des étudiants étrangers (65 000 en 2010). Sont-ce ces deux flux, que souhaite réduire Guéant ? "Depuis un an, ajoute Libé, le ministère de l’Intérieur a pris le parti de ne plus rien communiquer en matière d’immigration. L’OFII (office de l'immigration et de l'intégration) qui souhaitait organiser une conférence de presse pour diffuser les chiffres 2010 de l’immigration légale (en hausse de 13%, en grande partie du fait des étudiants) avait été dissuadé de le faire". Tiens donc, les chiffres sont secrets ? Trop bête: justement, le ministre était là. Mais les questions de détail, chez Aphatie, sont réservées à Joly, à Mélenchon, et aux autres parasiteurs d'émissions. On ne persécute pas un homme à terre.