Antisémitisme : dans le labyrinthe des signes

Daniel Schneidermann - - Complotismes - Le matinaute - 65 commentaires

Et revoilà, s'installant en force dans le débat, les nauséeuses controverses sur l'antisémitisme. Le jour même de la marche blanche en hommage à Mireille Knoll, on apprenait qu'un local de l'Union des Etudiants Juifs de France, au sein de l'université de Tolbiac bloquée et occupée, avait été saccagé, et couvert d'inscriptions antisémites.

Des inscriptions antisémites  ? "On m'a aussi parlé d'inscriptions antisionistes", nuance ce matin sur France Culture le président de Paris I, Georges Haddad. Mais les auditeurs n'en sauront pas plus sur ces inscriptions. Cliquons donc. "A mort Israël", "Palestine vaincra" ou "vive Arafat" sont en effet plutôt à classer dans le registre de l'antisionisme (cette dernière inscription trahissant, en outre, un certain retard de mise à jour sur l'actualité). Un autre tag retrouvé sur place, "local sioniste raciste antigoy" est d'une interprétation plus complexe. Je ne m'y risquerai pas. Quoiqu'il en soit, de toute la presse qui fait état de l'information (par exemple ici), pas un seul journal, à l'heure où j'écris, ne reprend le communiqué des occupant.e.s de la fac, condamnant sévèrement le saccage du local, que l'on peut pourtant trouver sur la première page des recherches Google.

A partir de quand peut-on qualifier un meurtre, ou tout acte délictueux, "d'antisémite" ? Faut-il que la victime soit visée parce que juive ? Faut-il qu'elle soit visée en vertu du préjugé que "les Juifs sont riches" ? Un "Allah Akhbar" lancé dans le feu de l'action est-il signifiant ? Pour être précis, la Justice (et toute la polyphonie politico-médiatique derrière elle) n'est-elle pas allée un peu vite dans le cas du meurtre de Mireille Knoll, pour se disculper du reproche de lenteur dans  le meurtre, l'année précédente, de Sarah Halimi ? Reportez-vous à notre enquête minutieuse d'hier, sur ce que Justice et presse peuvent espérer déduire de la psyché nébuleuse des meurtriers.

Et tiens, cette oeuvre de street art, exposée voici quelques années sur un mur de Londres, antisémite ou non ?


Pour l'avoir soutenue en 2012 sur sa page Facebook, au nom de la liberté d'expression, le leader du Labour britannique, Jeremy Corbyn, fait face à une violente campagne des tabloïds conservateurs, mais aussi au sein de son parti. Au centre de cette campagne, son soutien, donc (qu'il vient tout récemment de rétracter) à l'oeuvre de l'artiste de Los Angeles Kalen Ockerman, dit Mear One. Un cercle de "banksters" très début XXe siècle, jouant au Monopoly sur des corps noirs souffrants, sous le rappel visuel des Illuminati : alors ? Antisémite ou pas ? Tiens, un indice : l'artiste lui-même a reconnu que certains des banquiers représentés (Rothschild, Rockefeller, Morgan, Carnegie, Warburg, Aleister Crowley) étaient juifs. Mais pas tous. John Pierpont Morgan, fondateur de la banque éponyme, était protestant, et,  si l'on en croit de bonnes sources, fortement antisémite.

Les meurtres de Sarah Halimi et Mireille Knoll, le saccage du local de Tolbiac, la fresque de Mear One : faut-il vraiment se perdre dans l'épuisant jeu de pistes des émetteurs de ces signes ? Ou bien pourrait-on les  considérer comme des tests de Rorschach, surtout éloquents sur ceux qui les regardent ?

NB : Le matinaute prenant une semaine de distance, cette chronique reviendra, sauf imprévu, le 9 avril.


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