Anne Sylvestre, et pif, et paf, et na !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 35 commentaires
Deux choses énervaient particulièrement Anne Sylvestre quand elle accordait des interviews : qu'on lui ressorte son père collabo, et qu'on la ramène systématiquement à son tube "Les gens qui doutent"
. Le père collabo, heureusement, n'arrive que tardivement dans la belle nécrologie de Véronique Mortaigne, dans Le Monde
. Sur "Les gens qui doutent"
, on peut la réécouter sur France Inter. Si elle devait la réécrire, confiait-elle à Laure Adler, elle l'aurait réécrite autrement. Et na !
Dans ce monde compliqué, Anne Sylvestre a jugé plus simple de se tenir à l'écart des questions tordues des stars de la radio et de la télé. Qui le lui ont bien rendu. C'est bien pratique, un boycott implicite et réciproque. Et puis, diffuser chez Drucker son répertoire antimilitariste et féministe, vous n'y pensez pas ? Sans parler de sa rupture avec son producteur, Philips. C'est en 1976 que Drucker l'invite pour la première fois ("ça fait longtemps que je souhaitais vous rencontrer")
, et YouTube garde une trace savoureuse de cette rencontre de la poule rebelle et du couteau en sucre glace. Derrière la chanson "Dis-moi donc bergère"
, concentré de féminisme ironique et pastoral, deux minutes pour soulever le couvercle interdit, et expliquer pourquoi elle a rompu avec son producteur. "C'est important ce que vous avez dit, ça ferait l'objet d'un vaste débat..."
conclut le présentateur. Certes.
Anne Sylvestre était une adorable mauvaise tête. Un chuchotement poivré de grands rires intempestifs, une grand-mère toute en confiture de ronces, avec de la paille dans les sabots, et des chansons parfois trop longues pour la radio, comme son nez, qu'elle a toujours refusé de refaire, et na ! Il faut aussi entendre Jacques Chancel, la recevant deux ans plus tard, en 1978, dans Radioscopie
, après vingt ans de carrière tout de même, et insistant sur ses trous noirs, ses éclipses, ses salles vides. Elle : "On dit jamais quand des chanteurs décommandent des tournées. Moi, quand je faisais des quarts de salle, je disais je fais des quarts de salles. Mais des bons quarts de salles."
Et pif ! Fut-ce plus compliqué, parce que femme ? Oui. Chancel : "Mais Brel et Brassens, eux aussi, ont mis du temps pour percer." "Oui, dix ans. Et moi vingt."
Et paf ! D'ailleurs, "
Y a une espèce de terrorisme à l'égard des femmes qui dépassent un certain poids. Sur les murs, y a des photos de dames très minces, et d'un autre côté des pubs pour la chantilly. Y a quelque chose qui ne va pas."
Ah oui, une troisième chose aussi l'énervait : qu'on la réduise à ses fabulettes pour enfants. "Je ne fais pas que des chansons pour les enfants. Aussi pour les grandes personnes, à partir de 13 ou 14 ans."
On peut se tenir à l'écart des modes, et des trémoussements, et des questions tordues, et garder une place éternelle dans le coeur des petits, des grands, et des petits qui deviennent grands.
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