Ankara : deux fauteuils et une ottomane

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 181 commentaires

Pas de fauteuil pour Ursula : l'image a fait le tour du monde, de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, privée de siège, tandis que dans le palais présidentiel d'Ankara, le président turc Erdogan et le président du Conseil européen Charles Michel s'asseoient confortablement dans les deux seuls fauteuils prévus par le protocole turc. 

Après avoir manifesté son incrédulité par plusieurs raclements de gorge, von der Leyen a dû se rabattre sur le canapé qui lui était réservé (une ottomane, selon les spécialistes de l'ameublement diplomatique) à distance sanitaire respectueuse des deux hommes. La scène a d'autant plus été lue comme un affront machiste qu'Erdogan est un de nos ennemis préférés du moment, et qu'il vient, dans un décret nocturne, de retirer la Turquie de la convention d'Istanbul sur les violences faites aux femmes. Ci-dessous, parmi des milliers de retweets de la séquence du #sofagate, celui d'un élu du Rassemblement National.

"Ce sont des images qui font mal ! Je ne veux pas d’une Europe naïve, fragile, a déploré, parmi les mille réactions qu'on imagine, le secrétaire d’État français aux affaires européennes, Clément Beaune. C’est un affront qu’on corrigera, mais il ne faut pas laisser faire ce genre de choses." Mais qui est le principal responsable ? Le pervers sultan  Erdogan, ou le goujat Michel, qui aurait dû se lever et offrir son siège ? Les débats durent depuis 48 heures.

Or qu'apprend-on, en lisant mon distingué confrère Jean Quatremer ? Que le président du Conseil européen, selon un "accord interinstitutionnel" du 1er mars 2011, a la préséance sur la présidente de la commission. Vous le saviez ? Moi non plus. Ce sont les joies subtiles du protocole. Donc fauteuil pour l'un, ottomane pour l'autre. Et "les Turcs,selon un diplomate anonyme cité par Quatremer,  qui ont un esprit très hiérarchique, ont simplement appliqué à la lettre l’ordre protocolaire européen".

Certes. Reste qu'en plusieurs autres occasions, les présidents du Conseil et de la Commission, à l'époque nommés Tusk et Juncker (deux hommes) rencontrant Erdogan, ont eu droit à deux fauteuils. Hors de Turquie, il est vrai. Mais qu'importe ces subtilités. L'image s'est imprimée, elle restera. En d'autres temps, la guerre aurait déjà été déclarée pour moins que ça.


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