Allemagne, Mali : les bons mots font les bons amis
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 63 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Et vive l'amitié franco-allemande.
France Inter est à Berlin. Au micro de Patrick Cohen, un ami politique français, et un ami politique allemand, respectivement Bernard Cazeneuve, ministre des Affaires européennes, et Günter Krichbaum, président de la Commission des Affaires Européennes au Bundestag. L'Allemagne ne pourrait-elle en faire davantage au Mali ? demande Cohen, persécuteur de la paix des ménages. Réponse de l'ami allemand: oui, nous comprenons parfaitement que la France intervienne au Mali, après tout les deux tiers de son uranium viennent du Niger voisin. Une seconde de flottement imperceptible au micro. Et Cohen: "ce n'est pas le discours du gouvernement français. Vous êtes en train de mettre Bernard Cazeneuve dans l'embarras". Rires de la salle. Sentiment ineffable de se trouver dans ce qu'on appelle "un moment de radio". Et reprise en main des choses par l'ami français Cazeneuve: "la France est au Mali pour lutter contre le terrorisme", etc. Pour les prochaines célébrations de l'amitié, penser à traduire les éléments de langage en allemand.
Qu'on se le dise: la France n'est pas au Mali pour préserver ses approvisionnements en uranium. De même qu'elle ne fait pas intervenir les avions Rafale pour transformer le Sahel en annexe du salon aéronautique du Bourget. Mais si c'est un bénéfice indirect de l'opération, on ne va tout de même pas pleurer. D'ailleurs, les sorties de Rafale ne coûtent rien, ou quasiment, puisque les pilotes, de toutes manières, devraient tout de même effectuer des vols d'entrainement. L'Etat-major l'affirme, et les journalistes le répètent. Ce doit donc être vrai.
A propos d'éléments de langage, il en est un qu'il va falloir élaborer d'urgence: le discours de la France sur les exécutions sommaires, commises par les frères d'armes de l'armée malienne. Les premiers témoignages arrivent, au rythme où l'on laisse les journalistes accéder aux villes maliennes "libérées" par l'opération franco-malienne. Il faut lire d'urgence ce reportage de Dorothée Thiénot, de L'Express, à Sévaré. Egorgements, décapitations, corps de djihadistes présumés jetés dans les puits: il est à craindre que ces témoignages se multiplient dans les prochains jours. France Inter en faisait également état dans son journal de 8 heures, ajoutant que l'Etat-major français n'avait fait aucun commentaire sur ces premières révélations. Or, comme nous le soulignons dans l'émission de cette semaine, la Cour Pénale Internationale vient d'ouvrir une enquête sur les crimes de guerre commis au Mali, avant et depuis l'intervention française. Il serait regrettable pour l'image du pays que des hauts responsables militaires, voire des dirigeants français, soient en situation d'être traduits devant la Cour de La Haye, comme de vulgaires Gbagbo ou Milosevic.