Afghanistan, les victimes incolores
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 96 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
"90 civils, en majorité des femmes et des enfants"
ont trouvé la mort dans un bombardement des forces de la coalition en Afghanistan, relatent brièvement les radios du matin, reprenant les dépêches des agences internationales. Ces 90 civils n'ont pas de nom. Ils n'en auront jamais. Ils ne s'appellent pas Kevin ou Damien. On n'entendra pas de chef d'Etat d'un pays de la coalition égrener leurs prénoms lors d'une émouvante cérémonie retransmise en direct. Relisons l'ordre implacable des mots de la dépêche: avant d'être des femmes, des filles, des mères, des enfants avec cerf-volants, des bébés joufflus, ce sont "des civils", masse indistincte, sans couleur, sans voix, sans odeur, désignée par son seul effectif. Dans les médias des pays de la coalition, ils n'auront jamais droit qu'à des brèves, coincées entre deux actualités importantes. |
Pour faire la Une, pour avoir droit à l'omniprésence, au suspense, aux directs, la nouvelle doit avoir une couleur. Blanche, comme le manteau de neige qui a enseveli les victimes de l'avalanche du Mont Blanc, et qui ouvre les jités du soir. Ou rose comme les sandales que portera la ministre des Sports au prochain Conseil, (répètent d'antenne en antenne les radios du matin) pour se féliciter des résultats des sportifs tricolores, et sur lesquelles zoomeront toutes les caméras du pays.