A propos de cristal

Daniel Schneidermann - - Pédagogie & éducation - Le matinaute - 25 commentaires

"Chaque agression perpétrée contre un de nos concitoyens parce qu'il est juif résonne comme un nouveau bris de cristal", dit aujourd'hui sur Facebook le Premier ministre Edouard Philippe, en dévoilant une nouvelle statistique (non sourcée) d'actes antisémites, en hausse de 69% sur les neuf premiers mois de 2018, après deux années de baisse.

 "Un bris de cristal" : Edouard Philippe fait allusion, bien entendu, à la nuit de cristal, ce gigantesque pogrom antisémite qui a embrasé l'Allemagne, voici exactement 80 ans, et auquel j'ai consacré ma dernière chronique de relecture de la presse de 1938. Cette nuit de cristal, nous la relisons aujourd'hui comme le signe prémonitoire d'Auschwitz. Mais les journaux contemporains, citant pieusement "le docteur Goebbels", la présentaient comme une représaille logique, un peu exagérée, mais somme toute attendue, à l'assassinat par un jeune Juif polonais, à Paris, d'un diplomate allemand. Pas une seule protestation officielle, d'ailleurs, du gouvernement français qui, à l'inverse, délégua son ministre des Affaires Etrangères Georges Bonnet aux obsèques du diplomate allemand. Pas une seule protestation médiatique contre le mutisme du gouvernement français. Avant tout, il s'agissait de ne pas énerver Hitler.

A priori, rien de commun entre les medias d'hier, et ceux d'aujourd'hui. L'oeil des smartphones se glisse partout, et une vidéo virale peut embraser la Toile en quelques heures. Mais sommes-nous certains que ces indéniables progrès techniques contrebalancent la tendance de la logique médiatique à l'enfermement mental, au déni, à l'aveuglement, au conformisme ? Les innombrables successeurs, aujourd'hui, de Paris-Soir, sont-ils immunisés contre l'aveuglement ?  Par définition, il est impossible de le savoir. Si nous connaissions nos points aveugles, ils ne seraient plus aveugles. A défaut de certitude, une technique qui vaut ce qu'elle vaut, même si elle n'est pas infaillible : plutôt qu'aux buzz et aux manchettes, soyons attentifs aux brèves anodines, en bas de pages intérieures. Ecoutons les informations que les présentateurs débitent à la chaîne, juste avant la météo. Soyons attentifs aux sujets qui ne font pas les motifs d'engueulade aux Grandes gueules, chez Ruquier, ou chez Ardisson. C'est là où nous avons les plus grandes chances de tomber sur les nouvelles qui feront l'Histoire.


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