à coucher dehors

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 127 commentaires

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Au-delà des savantes circonvolutions attendues pour évoquer la collaboration de son prédécesseur Félicien Marceau

, le plus stupéfiant, le plus sidérant du discours de réception de Finkielkraut à l'Académie, ce sont ses premiers paragraphes. Roulent les tambours, se frôlent les épées, s'apaise la rumeur de la noble assemblée, et tout d'un coup surprise : ce n'est pas un philosophe, un écrivain, un intellectuel, que reçoit l'Académie. Ce n'est même pas, avant tout, le fils de rescapé d'Auschwitz. Avant tous les autres, c'est le petit garçon, le petit Juif de la cour de récré avec "son nom à coucher dehors. S’appeler Finkielkraut et être accueilli parmi vous au son du tambour, c’est à n’y pas croire."

Un nom à coucher dehors. Comme si l'essayiste devant qui se braquent toutes les caméras, se tendent tous les micros, celui qui tient salon chaque samedi matin depuis trente ans sur la radio publique, se vivait encore comme un paria, comme un illégitime. Pourquoi s'en étonner ? La posture est éprouvée, son confort assuré : quelques jours plus tôt, il se dépeignait en souffre-douleur de la "presse Pigasse". Après le souffre-douleur réac, donc, le paria juif.

A coucher dehors : quelle drôle d'expression. Mais non, Finkielkraut -et qu'il soit permis à un co-détenteur de nom à coucher dehors de vous le dire- vous n'avez pas, vous n'avez plus un nom à coucher dehors. A quand remonte la dernière fois où un fonctionnaire hostile vous l'a fait épeler ? A partir d'un certain âge de son détenteur, avec derrière lui un certain parcours public, à partir d'un certain amoncellement de livres, d'articles, d'émissions, de polémiques, d'honneurs, le "nom à éternuer" ne fait plus éternuer personne, le nom compliqué se dé-complique. Il cesse d'être un nom pour devenir un signe, une marque, presque un de ces noms communs ayant vocation un jour à entrer dans votre dictionnaire. Son détenteur reçoit un permis définitif de coucher à l'intérieur. Qui couche dehors aujourd'hui ? Pas vous, ni moi. Ce sont les sans-nom de la jungle de Calais, et tous les petits Aylan des plages de Lesbos.

Mais pourquoi s'encolérer ? La clé de cette tirade insensée était offerte aussitôt après par l'académicien qui répondit à Finkielkraut, son ami Pierre Nora. Comme le lui a dit Nora, dans un discours de bienvenue ciselé, "il y a toujours, chez vous, une frontière poreuse entre la dissidence héroïque et le dérapage plus ou moins contrôlé ; entre la liberté de l’esprit et le flirt avec la provocation ou avec la polémique." Ce n'était donc que de la provoc, évidemment, une fois de plus, et même là, sur cette nouvelle tribune qui manquait à la collection. Pardon d'avoir marché.

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