Dumay le résistant
Daniel Schneidermann - - La vie du site - 27 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
J'ai connu Jean-Michel Dumay au Monde, dans une autre vie. Mais on ne s'était jamais vraiment parlé. Et quand il est devenu président de la Société des rédacteurs, j'avais déjà été licencié du journal.
La société des rédacteurs, au Monde, c'est un drôle de bidule. Quand j'y étais, voilà la perception que j'en avais : sur le papier, très bien, formidable acquis des grands anciens, rien à redire. Le fait que les journalistes, regroupés, soient le principal actionnaire de leur journal, est évidemment la clé la plus efficace de l'indépendance.
Mais approchée de près, c'est autre chose. J'ai assez vu de présidents de la Société des Rédacteurs pantoufler, à la fin de leur mandat, dans des sinécures de la hiérarchie gracieusement proposées par la direction, pour nourrir un certain scepticisme sur l'efficacité, et l'intégrité, de l'instrument. Si belles, si vertueuses que soient les institutions, elles doivent composer avec les hommes qui les manipulent.
Manifestement, Jean-Michel Dumay n'est pas de cette pâte là. Depuis le début de la crise à répétition du Monde, qui a commencé en juin dernier avec l'éviction de Jean-Marie Colombani, je suis de loin les soubresauts de mon ancien journal. Je les suis, de plus en plus impressionné par Dumay, qui a donné dans cette crise la preuve éclatante de son honnêteté et de son courage, en n'hésitant pas à combattre, sans concession, les actionnaires extérieurs. Ses adversaires de la rédaction en ont d'ailleurs désormais fait leur cible, ce que Eric Le Boucher, par exemple, écrit sans détours dans Libération de ce matin. Dans nos milieux (comme dans les autres), on croise assez peu de gens honnêtes et courageux, pour que l'on perde l'occasion d'en saluer un, quand on le rencontre.
Je n'avais jamais discuté en profondeur avec lui. Notre première vraie discussion a donc donné lieu à cette émission, qui est à présent en ligne, et dans laquelle, pour l'amener à se livrer, je tente de lui faire raconter la crise du Monde, du point de vue de Sirius. (Pour nos jeunes @sinautes, Sirius était le pseudonyme du fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry. Il avait cette manie, ou cette affectation, dans ses éditoriaux, de considérer les événements "du point de vue de Sirius").
Autant vous le dire : cette discussion m'a sidéré, comme elle sidérera sans doute bien des lecteurs du Monde. Cueilli à froid au début de l'entretien, Dumay finit par laisser entrevoir le fond de son âme : celle d'un combattant. Et la fanfare Dumay, c'est moins que l'on puisse dire, ne ressemble pas à la musique de chambre qui sourd, chaque jour, des pages de son journal. Sous son vernis très Monde ("on peut s'interroger", "il faut se poser la question", etc) j'ai découvert un caractère sorti d'un autre siècle, d'une autre époque.
Je ne sais si, à la fin des cinq pages de cet entretien, vous comprendrez mieux ce qui se joue au Monde. Vos premières réactions dans les forums laissent penser que oui, et tant mieux. De toutes manières, nous serons sûrement amenés à y revenir. Mais au moins aurez-vous découvert un caractère inattendu qui, en 2008, ne craint pas le ridicule en décrivant son combat en termes de collaboration et de résistance. Cela déplaira. On ricanera. Ce n'est pas nouveau. Depuis toujours, les hommes d'équipage ricanent de l'albatros.