A demain, en 14 !
Daniel Schneidermann - - La vie du site - 22 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Ce sont des documents exceptionnels, retrouvés par hasard dans de vieux cartons.
De vieux films d'une émission ressemblant étrangement à la nôtre, avec un animateur, des journalistes, des chroniqueurs, qui vous rappelleront des visages familiers, et datant d'il y a exactement cent ans. Jour pour jour. Aussi incroyable que cela paraisse, il existait en juillet et août 1914, avant même l'invention de la télévision, une émission étrangement semblable à la nôtre, passant au crible les medias de l'époque, qui s'appelaient Le Matin, Le petit journal ou - déjà - Le Figaro.
Etreints par une émotion bien compréhensible, nous avons restauré et visionné ces films. Par delà le siècle écoulé, le regard porté par nos prédecesseurs sur l'époque, et cette époque elle-même, nous ont paru si proches de nous, que nous avons voulu vous les montrer, tout au long de cet été.
Au fil de ces émissions, vous découvrirez que bien des idées reçues sur laGrande Guerre s'avèrent fausses :
- Non, les Français de 14 n'étaient pas obsédés par la perte de l'Alsace-Lorraine. Le revanchisme français, très virulent dans les années qui suivent la défaite de 1870, avait bien régressé ensuite. La fierté nationale s'était amplement consolée en se taillant un vaste empire colonial.
- L'attentat de Sarajevo avait échoué. Il n'a réussi que par le plus grand (et le plus tragique) des hasards. Cent ans plus tard, on ne sait d'ailleurs toujours pas qui (le gouvernement serbe ? Les Russes ? Personne ?) manipulait Gavrilo Prinzip et ses camarades.
- Dans le mois qui suit Sarajevo, personne ne pense à la guerre. Les peuples n'ont la tête qu'aux moissons. Et de quoi parle la presse française ? D'un procès sensationnel, celui de Henriette Caillaux, épouse de ministre qui a tué le directeur du Figaro. Mais ce fait-divers est davantage qu'un fait-divers. L'âpreté de la bataille gauche-droite sur la question fiscale, l'acharnement d'une campagne médiatique contre un authentique responsable de gauche, partisan de la détente avec l'Allemagne pour aggraver son cas : tout est déjà là.
- Tous les dirigeants de l'époque croient que la guerre sera courte. Ils n'ont pas tiré les conclusions de la sophistication des armements depuis la dernière guerre.
- Et les peuples ? Non, ils ne sont pas partis se faire tuer le coeur léger. Les photos de départ "la fleur au fusil" qu'on nous montre depuis cent ans ne reflètent qu'une réalité très localisée. Mais ils ne sont pas non plus partis contraints et forcés, évidemment. La vérité, la mystérieuse vérité, est entre les deux.
Choisissant comme sujet d'été la Grande Guerre, et la manière dont elle a ensuite été racontée, nous avons finalement découvert deux tragédies de la représentation. Ce qui va progressivement se dessiner au fil de nos émissions, c'est d'abord la manière dont les journaux de l'époque ont poussé à la guerre. Une presse ultra-nationaliste, aussi bien en Serbie qu'en Autriche, en France qu'en Allemagne, évidemment manipulée par les dirigeants politiques, mais qui, en retour, finit par intoxiquer ses manipulateurs eux-mêmes. Comme ce schéma est moderne !
De cette première tragédie de la représentation, découle naturellement la seconde, celle qui au fil du siècle écoulé, va brouiller l'histoire de la guerre, nous convaincant en France, que la responsabilité ne reposait que sur l'Allemagne, falsifiant l'Histoire, minimisant les responsabiltés russes et celles du Français Raymond Poincaré - dont les archives ont d'ailleurs été mystérieusement expurgées - empilant donc légende sur légende.
Voilà. Il ne vous reste plus qu'à partir en exploration avec nous. J'entends déjà certains d'entre vous : cinq semaines dans le passé ! Mais quand allez-vous revenir à l'actualité ? Allons. Cet artefact hypnotique qu'on appelle l'actualité, il faut savoir en décrocher. D'autant qu'elle est si moderne, si contemporaine, cette fameuse "belle époque", avec ses "socialistes de gouvernement" prêts à tous les accomodements, ses scandales de corruption, ses "pigeons" anti-impôt, ses jeunes bourgeois d'extrême-droite agitant cannes et chapeaux dans les beaux quartiers devant les objectifs, sa presse qui escamote les luttes sociales - réduction du temps de travail, retraites ouvrières - au bénéfice de perpétuelles diversions. Oublions les costumes, la rhétorique, l'éloquence, le fond musical : 1914, c'est nous.
Jouez donc avec nous au jeu des ressemblances et des dissemblances. Laissez-vous surprendre par cette inconnue familière. Quel que soit votre verdict, le regard que vous portez sur l'actualité n'en sortira pas indemne. A demain, en l'an 14.