Vu de Barjac. Un emballement Benalla ? Alors, vive l'emballement !
Daniel Schneidermann - - Initiales DS - 74 commentaires
"C'est une pièce de théâtre. Mais ça passe un moment."
Ainsi discourait ce matin, devant une clientèle approbatrice (et largement internationale), un volailler du marché de Barjac (Gard) à propos des auditions Benalla, qu'il lui arrive de suivre à la fraiche, volets fermés. Davantage mobilisé par le choix des abricots que par les nécessités d'une enquête d'opinion dans les règles sur ledit marché de Barjac, je me garderai bien de tirer de ces fortes paroles quelque conclusion catégorique sur l'état d'esprit dévraigens,
dont le pouvoir aimerait tant croire qu'ils vont, sous overdose, décrocher du feuilleton. Je les livre ici dans leur profond mystère. Comment lévraigens
reçoivent-ils ce ballet courtois et cruel de "Pourriez-vous préciser, Monsieur le secrétaire général"
, de "je vous remercie Madame la co-rapporteure, mais néanmoins il me tient à coeur de rectifier..."
Depuis quelques jours, sur les chaines parlementaires, on déballe sec. Mais on déballe dans la langue martienne des dominants.
Comment ces échanges sont-ils reçus sur la planète Terre ?
"On" en fait trop, sur Benalla ? La petite musique monte. Elle était inévitable. Après quelques jours de KO debout, Macron et la macronie, c'est normal, ont embouché pleins d'espoir cette trompette-là. Mais pas seulement eux. Nombre d'honnêtes citoyens, tourneboulés par le ballet des gros titres, des flashes spéciaux, et des commissions d'enquête, peuvent être effleurés par la question. N'en fait-"on" pas trop sur cette affaire dans laquelle, après tout, il n'y a pas mort d'homme ?
emportés par l'emballement
Oui, depuis maintenant une semaine, medias et politiques sont emportés par l'emballement. Oui, dans l'emballement, il arrive que certains articles racontent n'importe quoi. Ainsi l'ex-nouvel appartement du Palais secret de la République dévolu à Benalla ne devait pas mesurer 300 m2, mais seulement 80. Ainsi, Benalla ne gagnait pas 10 000 euros par mois, mais apparemment "seulement" 7000 euros brut environ. Non, Macron ne lui aurait pas vraiment demandé de coiffer les services de sécurité de l'Elysée, dans leur nouvelle configuration. Seulement d'y être son oeil et son oreille. Nous-mêmes n'y avons pas toujours échappé. Non, contrairement à un de nos premiers titres, Benalla n'a "tabassé" personne place de la Contrescarpe. Seulement arrêté brutalement deux manifestants, leur a porté des coups d'immobilisation sur la nuque, et les a remis à la police.
Par ailleurs, ne soyons pas dupes, les oppositions coalisées ont leurs agendas politiques. Oui, la presse emballée joint l'utile à l'agréable, qui engrange des ventes, des audiences et des clics, tout en se vengeant d'un an d'humiliations jupiteriennes. Le Sénat lui-même, tous partis confondus, qui vient de décider que ses investigations pourraient durer six mois, a son propre agenda : faire capoter la réforme constitutionnelle de Macron, qui rognerait son périmètre, et les avantages afférents. Quel joli spectacle, de voir la Haute Assemblée de l'ancien monde se dresser en château radieux de la transparence, après avoir été de longues années stigmatisé pour les avantages opaques des sénateurs -qui se souvient que voici un an à peine, le vertueux président Larcher soutenait jusqu'au bout l'ex-sénateur Fillon, et ses chers enfants-assistants ?
Pourtant, non, à mon sens, "on" n'en fait pas trop. La révélation par Le Monde
de l'apparent coup de folie de Benalla, les révélations subséquentes sur ses complicités à la préfecture de police, les doutes sur la réalité de sa "suspension", et le flou de ses missions élyséennes, ont fait naitre de légitimes soupçons sur de possibles manipulations policières orchestrées par le pouvoir, contre les manifestations d'opposants. Il faut maintenant aller jusqu'au bout. Sur ses complicités, sur la réalité de la sanction élyséenne qui l'a frappé, et aussi sur les inévitables affaires dans l'affaire, qui ne vont pas manquer de proliférer. Récurer jusqu'au bout pour tuer dans l'oeuf, si c'est encore possible, les éternelles rumeurs de complots politico-policiers, ourdis dans l'ombre contre les institutions républicaines et les droits démocratiques des citoyens, que cette affaire ne va pas manquer de nourrir.
nomenklatura
Accessoirement, ce que découvrent les investigations parlementaires ou médiatiques -avant l'enquête judiciaire- c'est une tranche de vie en Nomenklatura française. La Nomenklatura française, ce territoire qui regroupe en l'occurence la haute direction de la préfecture de police, l'Assemblée Nationale, son hémicycle et sa salle de gym, et évidemment l'Elysée et ses dépendances, est un pays qui échappe à toutes les lois ordinaires.
Les images de videosurveillance des caméras cloche de la place de la Contrescarpe ne sont conservées qu'un mois. Sauf circonstances particulières, qui ne jouaient pas dans le cas présent).
Tous les collaborateurs de l'Elysée sont tenus de faire une déclaration de patrimoine et d'intérêt. Sauf ceux qui, ne figurant pas au Journal Officiel, en sont dispensés.
Aux termes du désormais célèbre article 40, toute "autorité constituée" est censée dénoncer au procureur de la République les délits dont elle a connaissance. Sauf si, après en avoir longuement conféré avec elle-même, l'autorité constituée décide en conscience qu'elle peut s'en dispenser.
Toute obtention d'un permis de port d'arme est soumise à conditions. Sauf cas contraire, où ces conditions sont présumées remplies sans examen.
Tout haut fonctionnaire de la République est placé sous l'autorité du gouvernement. Sauf si un entreprenant pékin excipe devant le haut fonctionnaire d'un badge ou d'un document siglé présidence de la République.
Tout un chacun, convoqué est obligé de déférer à la convocation d'une commission parlementaire. Sauf s'il estime devoir solliciter pour cela une autorisation de son patron, chef de l'Etat. Voilà tout ce qui, dépouillé de la langue ampoulée des dominants, se révèle aux yeux des vraigens
. C'est peut-être, à ce stade, le principal acquis de l'histoire.