Aliénor Garcia-Bosch-de-Morales, ses chevaux, sa chevalière

Daniel Schneidermann - - Initiales DS - 68 commentaires

Dans la 3e circonscription du Cher, une candidate Nupes écolo-aristo

Sur les routes du "3e tour", Daniel Schneidermann a croisé la candidate Nupes de la 3e circonscription du Cher, accompagnée de ses bébés et de ses poneys. Elle devait faire HEC mais s'est reconvertie dans l'élevage de chevaux, en plein Berry.

SANCOINS (Cher). Les relais médiatiques les plus efficaces d'Aliénor Garcia-Bosch-de-Morales portent les jolis noms de Désirée et Arwen. Ce sont deux mini-juments américaines, qu'elle élève et qu'elle offre aux câlins des enfants à la sortie des écoles de la circonscription, tandis que les parents  réceptionnent les tracts de la Nupes distribués par son équipe. 

Dans cette 3e circonscription du Cher, où le Rassemblement national bat des records, et où le député marcheur sortant Loïc Kervran se représente sous l'étiquette Ensemble, "on est invisibilisés, déplore la candidate. Au moins avec les chevaux, on est un peu visibles". Déjà réputés pour l'équithérapie, et plus largement "pour ceux qui ont peur des grands chevaux", les deux miniatures ont trouvé une nouvelle vocation de poneys Méluche. Globalement efficace, même si une maman infirmière maugrée devant l'école que la candidate "vend du rêve", avec la proposition du SMIC à 1500 euros.

Il ne s'est passé qu'un an et demi depuis qu'Aliénor et son compagnon Johann se sont installés dans leur exploitation de Maisonnais (Cher), mais quel chemin parcouru depuis la dépression d'Aliénor en prépa HEC et sa reconversion via le bac professionnel agricole "conduite et gestion d'entreprises hippiques" ! "Tout au long de mes études, je me suis dit «un jour, j'élèverai des pure race espagnols dorés»". Le couple cherchait dix hectares. "On va pas se mentir, à nos prix, c'est le Berry ou la Creuse". Ce fut le Berry et son désert, notamment médical, légendaire. Sur la chaîne Twitch insoumise Prune Bourbon, elle a raconté comment elle avait dû accoucher chez elle, faute de maternité de proximité.

L'interminable 3e circonscription du Cher démarre à Bourges et descend sur une centaine de kilomètres jusqu'à Saint-Amand-Montrond, aux confins de l'Auvergne, distance rendue encore plus infranchissable par le prix cauchemardesque des carburants. De fait, les forces insoumises se sont trouvées partagées en deux. Aliénor (qui coche les trois cases du renouvellement, de la féminisation et du rajeunissement) a été désignée candidate par les Insoumis du Sud. Les militants de Bourges étaient-ils au courant de sa désignation ? "C'est après notre choix qu'on a découvert qu'ils avaient eux aussi un candidat à Bourges", assure la candidate. En tous cas, les nordistes se sont ralliés sans arrière-pensée.  

Un rebouteux faute de médecin

Un certain malaise avec la plateforme collaborative Action Populaire (le "réseau social d’action de la France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon") n'a pas aidé ceux du Nord. Il faudra un jour étudier le rôle des outils de communication dans le succès ou l'échec de l'union de la gauche à la base. Téléphone à l'ancienne ? Bistrot ? Boucles WhatsApp ? Boucles Télégram ? Plateforme Action Populaire ? Autant de traditions politiques, autant de moyens de communication différents, et donc autant de sources de malentendus, de "je n'étais pas au courant", de rendez-vous militants manqués. Les plateformes sont parfois plus inconciliables que les programmes. Avec EELV, tout baigne aussi, et la candidate n'en veut nullement à l'adjointe EELV au bien-être animal du maire de Bourges d'avoir retoqué son projet de cavalcade électorale dans les rues de la préfecture. On cavalcadera ailleurs.

"Alors, qu'est-ce que tu penses du désert ?" me demandent Aliénor et Johann (j'ai été invité à déjeuner mais j'ai apporté le dessert, la déontologie est sauve). Je ne peux pas m'empêcher de penser que le désert, tout de même, ne va pas si mal à leurs aspirations. L'école est proche, mais ils rêvent d'école à la maison pour Uriel (2 ans) et Euphée (9 mois), "pour ne pas exposer nos enfants au harcèlement scolaire" dit Johann. Après avoir sollicité "40 généralistes" dont aucun n'acceptait de nouveau patient –"Il y a des gens par ici qui regardent les avis mortuaires dans les journaux, pour se trouver un médecin dès qu'une place est vacante" – ils se sont résolus à recourir à un rebouteux, qui a efficacement remis d'aplomb leurs dos en vrac. 

Si Euphée est né à la maison, c'est autant par choix que par contrainte. Johann voulait assister à l'accouchement, et Aliénor devait continuer d'allaiter Uriel. Faute de maternité de proximité, aucune solution ad hoc n'a été trouvée. Ni l'un ni l'autre ne sont vaccinés Covid, ce qui n'a sans doute pas arrangé les choses : "On n'avait pas confiance dans ce vaccin développé en si peu de temps. Sans parler des lois liberticides, qui sont intervenues après". Et puis "une infirmière, un jour, m'a expliqué qu'ils n'avaient pas le droit de parler des effets secondaires des vaccins". Bref, Euphée est né au milieu du salon, dans les mains de Johann.  "Heureusement, j'étais en paix avec l'idée d'accoucher à la maison, mais j'aurais préféré le faire avec une sage-femme". Mais les sages-femmes, en France, ne peuvent pratiquer d'accouchement à domicile, comme le souhaitent de plus en plus de femmes, sauf à souscrire une  assurance d'environ 25 000 euros par an. Voilà bien un premier projet de réforme urgent.

"on va coller pour Mélenchon"

En attendant, le jeune couple se conforme en tous points à des pratiques innovatrices et vertueuses. Pour les chevaux, ils ont adopté une méthode américaine (nommée "paddock paradise"), soit une savante dispersion de bottes de foin et de points d'eau tout au long d'un parcours clôturé qui incite les chevaux à se déplacer. Et en pente légère : "La pente, c'est mieux pour les chevaux. Ils se musclent". Passés directement de l'allaitement aux aliments solides, Uriel et Euphée n'ont jamais connu les petits pots industriels (en vertu de la méthode Zalejski).

Aujourd'hui, avant la séance de câlins-poney à l'école (à une heure de route, tout de même) le vétérinaire vient échographier une jument, pour insémination. Processus hasardeux, déjà raté deux fois pour mauvais timing : la semence de l'étalon vient d'Espagne, via l'Allemagne. Le processus n'est pas très "circuit court", mais le prix du poulain pure race espagnole à la revente (15 000 euros) contribuera à mettre l'exploitation à flot.

Deux jeunes enfants, une exploitation : mais où trouvent-ils le temps de militer ? "Pendant la présidentielle, le soir, on mettait les enfants en pyjama dans le Trafic, en leur disant «on va coller pour Mélenchon»". Il paraît qu'Uriel a bien retenu le concept du "coller Mélenchon". Jamais trop tôt pour l'éducation politique. Heureusement, Johann, chef de projet chez EDF, est en arrêt maladie longue durée, après son agression par un client – il n'est pas sûr de reprendre à la fin. 

Une chevalière à armoiries perdue dans le foin

Outre le blocage du prix de l'essence, premier thème de campagne obligé dans le département, Aliénor, si elle est élue, s'attachera à intégrer les formations bio dans le tronc commun des bacs agricoles : "Pour l'instant, il est tout-conventionnel" . Elle militera aussi pour que la présence d'un gardien soit obligatoire dans les ensembles HLM de plus de douze logements. "Sans gardiens pour faire le lien avec les bailleurs, les gens se retrouvent avec des appartements moisis".

Si l'éleveuse est si attachée aux pure race espagnols, sans doute est-ce aussi lié à son histoire familiale. Aliénor Garcia-Bosch-de-Morales descend en droite ligne des amours coupables, au 19e siècle, de la reine Isabelle d'Espagne (mère de Alphonse XII) et d'Enrique Puigmolto. Ses lettres de noblesse sont rangées dans le buffet du salon, tout en haut, en face de la liste des tâches taguée sur le mur, classées par ordre d'urgence et d'importance.  Si elle se marie, elle perdra son titre. "Mais ce n'est pas pour ça qu'on ne se marie pas. C'est parce qu'on n'a pas le temps", rigolent-ils. L'an dernier, Aliénor a perdu dans le foin la chevalière à ses armoiries, qu'elle portait au doigt depuis l'âge de onze ans. "Je ne l'ai pas recherchée, j'ai considéré que c'était le symbole de ma nouvelle vie".

Retour sur le parking de l'école. Alors que les poneys Désirée et Arwen ont regagné leur remorque, Aliénor Garcia-Bosch-de-Morales reçoit une bonne nouvelle : la presse régionale s'intéresse à elle. Il était temps. Elle a du retard médiatique à rattraper sur le candidat macroniste. Mais la nouvelle ne réjouit pas toute l'équipe. Un militant : "Méfie-toi. Demande à relire leur papier. Ils sont forts pour te faire dire un truc que t'as pas dit". Les chevaux, eux, ne trahissent pas.


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