Poitiers : Mélenchon en "alerte sécheresse"

Daniel Schneidermann - - Initiales DS - 38 commentaires

Daniel Schneidermann était à Poitiers pour une offensive médiatique de Mélenchon et Bayou venus soutenir les quatre candidats Nupes de la Vienne. Avec un sujet : le manque d'eau. Et un rituel médiatique, façon roche de Solutré : la traversée de la rivière Clain à pied pour illustrer les ravages de la sécheresse.

POITIERS (86). On a prévu des bottes. Il ne faut pas confondre rivière à gué, et rivière à sec. Si le Clain, qui arrose Poitiers, se traverse cette année à pied dès le mois de mai (l'an dernier, c'était septembre), il n'est pas totalement à sec pour autant, heureusement. Et sauf à trouver la bonne passe, on en a même jusqu'aux genoux au milieu de la rivière. "Tant mieux, dit Jean-Luc Mélenchon. J'adore me déguiser". Va pour les bottes. Il a apporté les siennes de Paris. Moins prévoyant, Julien Bayou, porte-parole de EELV, s'en est fait prêter sur place, ce qui a retardé la traversée médiatique de la rivière, au milieu des photographes, et des militants du mouvement Bassines Non Merci, accourus de toute la région. "J'ai les pieds mouillés, mais le pantalon sec", insiste Bayou sur France 3.

La traversée du Clain à pied pour illustrer les ravages de plus en plus précoces de la sécheresse (24 départements en alerte sécheresse début juin) est désormais un rite annuel, qui est aux écolos locaux ce qu'était l'ascension annuelle de la roche de Solutré pour François Mitterrand. Elle se pratique sous le pont Joubert, pour permettre aux photographes et aux télés de traverser à pied – vraiment – sec. Courageuse (et bottée), France 3 Poitou-Charentes a suivi Mélenchon sur la rivière. Une interview en situation, c'est tout de même mieux, pour illustrer l'obligatoire titre de la presse locale : "Mélenchon marche sur l'eau" (pour être totalement transparent, j'avais pensé faire le même titre).

Coup de patte au "Figaro"

Devant la caméra de France 3, Mélenchon promet un renforcement de la police de l'eau et s'élève contre le gaspillage, et les mésusages  de la ressource : 80 % de l'eau prélevée va dans l'agriculture. "Qui nourrit les gens..." tente d'interrompre la journaliste. "Mais qui les empoisonne aussi !" réplique l'Insoumis, toujours en alerte devant les questions de journalistes soupçonnables de fausse neutralité. Et de développer : "Les paysans sont capables d'autres méthodes. Est-ce que ça vaut la peine de faire des fermes-usine, pour faire manger des abats ?" La presse nationale n'est pas oubliée dans la distribution de tapes. "Le Figaro, c'est 3,20€, pour ne pas apprendre grand-chose, mais c'est chic, lance Mélenchon devant l'envoyé spécial (non botté) venu de Paris. C'est le contraire de L'Huma, où on apprend des choses, mais qui n'est pas chic". Le confrère Pierre Pelletier, 26 ans, ne se formalise pas du coup de patte. Quand on couvre la gauche au Figaro, c'est le tarif minimum.

La presse nationale (ASI et Le Figaro) a été acheminée depuis la gare dans son van de campagne customisé par Jason Valente, candidat LFI dans le sud du département. Commercial en extincteurs, le candidat, 31 ans, a promis, en cas d'élection, de plafonner son salaire de député à 1850 euros, pour lutter contre la déconnexion entre "les fâchés" et les élites. L'initiative pouvant passer pour une concession à l'antiparlementarisme, "des copains ont essayé de me dissuader, mais n'ont pas réussi". Beau geste, même si sa circonscription est un peu désespérée pour la gauche. 

Traversée faite, la troupe s'installe pour une conférence de presse / meeting devant la banderole "Bassines non merci".  Les bassines, ces méga-retenues d'eau alimentées l'hiver par les nappes phréatiques pour irriguer au cours de l'été, sont "clairement le symbole de l'investissement massif pour un modèle appelé à se fracasser", lance Léonor Moncond'huy, maire EELV de Poitiers. 

Mélenchon "évangélise"

Pourquoi tant de haine contre les bassines ? La pratique pourrait se défendre si les principaux bénéficiaires n'en étaient pas les grandes exploitations gourmandes en eau, notamment céréalières, qui encaissent aussi le plus gros des subventions de la PAC. Et la paysannerie reste la paysannerie. Les pratiques plus vertueuses, promises par les agriculteurs en échange de subventions publiques aux bassines, semblent s'être évaporées quelque part. Éternelle impasse. 

S'enchaînent les tours de parole de la Nupes au grand complet sur les questions de l'eau. "30 % de l'eau produite n'arrive pas au robinet" rappelle le représentant du PCF. Enseignant au lycée des métiers de la mode de Poitiers (plusieurs élèves, avides de selfies avec Mélenchon, parsèment l'assistance), le représentant de Génération.s rappelle que "la mode est le troisième consommateur d'eau au niveau mondial". À Poitiers, on y est sensible : c'est avec de vieilles chaussettes recyclées que les élèves fabriquent des crop tops "vraiment top"Les autres candidats Nupes du département élargissent le débat. Lisa Belluco (EELV) sur le thème du désert : aujourd'hui à Poitiers, pas d'ophtalmo, pas de dentiste. Flavien Cartier (PS) évoque le combat  contre le projet de ferme-usine de Coussay-Les-Bois (1200 taurillons). 

Efficacité médiatique de l'opération ? Le JT de France 3 Poitou-Charentes 3 creuse la métaphore du "Mélenchon marche sur l'eau" il "évangélise" (image de militante les bras en croix), ou "prêche des convaincus". Soyons juste : les enjeux environnementaux sont traités. Plus loin dans le 19-20, il est question de la patinoire de Niort, dont on fait fondre la glace pour arroser les plantations municipales, ou des automobilistes victimes d'un violent orage de grêle. Mais ces sujets ne sont pas reliés entre eux sous la rubrique commune du dérèglement climatique. Juste disséminés au fil du journal, comme des épiphénomènes indépendants les uns des autres – c'est aussi souvent le cas dans les JT nationaux. Quant à la petite passe d'armes sur les agriculteurs qui nourrissent/empoisonnent les gens, elle n'a pas été conservée au montage par France 3.


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