Médine, épouvantail politico-médiatique

Élodie Safaris - - Intox & infaux - Scandales à retardement - Calmos ! - 125 commentaires

L'espace médiatique a été saturé tout le mois d'août par une polémique visant le rappeur Médine. Une médinophobie qui en dit plus sur les obsessions politico-médiatiques que sur le Havrais. Qui s'impose de plus en plus comme une figure politique intersectionnelle, loin des portraits d'islamiste homophobe et antisémite que l'extrême-droite a réussi à imposer de lui dans l'espace public.

Depuis l'annonce de sa venue aux journées d'été d'Europe Écologie les Verts, le 31 juillet dernier, le rappeur Médine est au cœur d'une polémique sans fin (pas la première, on l'avait reçu en 2015 sur notre plateau, ndlr). Habituelle cible des attaques de l'extrême droite, il est cette fois vilipendé par des macronistes et même une partie de la gauche, notamment depuis qu'il a tweeté un mauvais jeu de mots. Le feuilleton a été nourri par des dizaines d'articles, des tweets de ministre, une déprogrammation de concert et des dissensions internes chez EELV exposées publiquement par tweets interposés. 

Cette semaine, un énième média est venu ajouter sa pierre à l'édifice de la médinophobie ambiante, illustrant les ressorts utilisés par la majorité des médias pour décrire le rappeur de 40 ans. "Médine, engagé courageux contre l'homophobie : en voilà un joli pinkwashing", titre et tweete têtu le 23 août en partageant un billet pour le moins léger. La publication fait plus de 800 000 vues et près de 500 commentaires.

"Têtu ces turbofafs"

Le magazine LGBT+ est aussitôt accusé de faire le "jeu de l'extrême-droite" et qualifié de "turbofaf" (rien que ça). Pour ses critiques, il ne fait que relayer "des paniques morales racistes et bourgeoises de la droite". Au milieu des tweets scandalisés, certain·es internautes aux profils bien différents se réjouissent de voir l'indignation suscitée par le papier, par exemple "Nouvelle passion : voir le seum des dindons intersectionnels". Au final, ce soutien réac' serait une preuve de plus du positionnement politique de têtu : la culpabilité par association étant une technique courante sur les réseaux pour décrédibiliser son adversaire, comme je vous en parlais dans ce Calmos sur le "follow coupable".

Comme pour appuyer les procès en "droitisation" du magazine, des twittos ressortent l'interview d'Olivier Dussopt dans laquelle il faisait son coming out en plein conflit social sur la réforme des retraites. Ou encore celle de Valérie Pécresse (en février 2022) qui, elle, s'était bien mobilisée contre le Mariage pour tous. "Le pinkwashing c'est quand votre journal gay lave la réputation des banques et des grandes entreprises à travers des contrats publicitaires que vous signez avec Têtu Connect", abonde la militante trans et féministe "sasha anxty". Le rédacteur en chef du magazine en ligne Frustration Nicolas Framont rappelle que le propriétaire de têtu, Albin Serviant, est un proche d'Emmanuel Macron. Pour d'autres, le seul fait de participer à la polémique – souvent qualifiée de lynchage – dans le contexte actuel, c'est-à-dire après trois semaines d'acharnement politico-médiatique, relève du racisme.

Finalement, l'enjeu de cette micro-polémique dans la polémique, et plus largement de "l'affaire Médine", trouve une bonne illustration dans cet échange entre deux internautes. Un camp estime que la gauche "se complait dans la compromission" et minimise les casseroles du rappeur, parce qu'il est racisé et fait l'objet d'un acharnement de la part de l'extrême-droite. L'autre plaide pour le "pardon" et appelle à se focaliser sur son évolution idéologique.

Le problème, à mon sens, c'est que les deux positions partent du principe que Médine est antisémite et homophobe. Mais qu'en est-il vraiment ?

Médine homophobe, vraiment ?

Le résumé accessible à tous du papier de têtu affirme que "la réalité des positions du rappeur sur les questions LGBT est loin d'être aussi rose que ce que tentent de nous faire croire les responsables de LFI et d'EELV". L'on s'attend donc à des prises de positions édifiantes sur le sujet. 

Pourtant, l'article ne fait que recycler les deux seuls éléments (de plus de dix ans) qu'internautes, politiques et journalistes ressassent depuis des jours pour justifier de traiter le rappeur havrais d'homophobe. D'abord, le fait qu'il a utilisé le mot clairement homophobe "tarlouze". La "preuve" brandie partout est une vidéo qui date de 2007 (il y a 16 ans !) dans laquelle il critique le concept d'intégration en ces termes :"Assimiler, c'est quoi ? C'est abandonner son appartenance ethnique, sociale et religieuse […] que tu soies un musulman light qui fasse un peu tarlouze etcetera." Comme il s'en défend auprès du quotidien régional Paris NormandieMédine n'utilise pas ce terme pour désigner des homosexuels. Ce qui ne l'empêche pas de reconnaître qu'il y a "une erreur de langage qui n'est pas acceptable". Mais est-ce que cet usage du mot, il y a 16 ans, suffit à qualifier Médine d'homophobe ? Il m'apparait évident que non. Nos seuils de tolérance sur l'utilisation de certains termes à connotation homophobe ou raciste ont heureusement évolué en quinze ans, comme je le rappelais dans ma première chronique Calmos sur les exhumations de tweets. En 2018, déjà, un internaute LGBT+ tweetait : "Je connais aucun (0) mec cishet qui n'ai lâché un "tarlouze"/"pédé"/"enculé" une fois dans sa vie."

L'autre vidéo brandie pour prouver son homophobie date d'il y a dix ans (c'est dire si les preuves sont nombreuses) et a été publiée sur la chaine YouTube Ptit délire tv. Le rappeur détaille ce qu'il pense du mariage pour tous dans un discours que têtu trouve "ambigu", le résumant ainsi : "Homophobe par le cœur mais anti-discrimination par la tête, on a connu position plus courageuse." Qu'y dit le rappeur havrais pour mériter la qualification d'homophobe ? Il y détaille "une double position" sur le sujet : d'un côté, la spirituelle (liée à sa religion musulmane) et qui ne lui "permet pas, selon [ses] valeurs de penser que ce soit une bonne chose pour notre société que d'autoriser le Mariage pour tous". De l'autre, une "position citoyenne, sociale", qu'il expose ainsi : "Je crois que le mariage ne devrait pas être soumis à une discrimination."

Là où têtu voit un "homophobe par le cœur", je vois un discours relativement honnête sur les contradictions qui existent entre sa religion et ses convictions de citoyen. Avoir conscience de ses contradictions sans louvoyer me semble être le plus important. D'autant que Médine conclut la séquence en affirmant  assez courageux pour l'époque dans ce milieu du rap  qu'il "ne faut pas discriminer les gens en fonction d'une orientation sexuelle, d'une couleur de peau, d'une origine, d'une religion".

On comprend qu'il soit tentant pour têtu de s'immiscer dans la polémique, puisque l'homophobie supposée du rappeur est mentionnée partout. Mais l'agacement face à deux phrases de Mathilde Panot et Marine Tondelier méritait-il un papier ? Et une titraille aussi sensationnaliste ? Certes, l'accusation de "pinkwashing" vise peut-être plus les représentants de gauche désignant Médine comme un "parangon" de la lutte pour les droits LGBT+. Lorsqu'on est un média qui se veut progressiste et engagé, est-il cependant judicieux d'alimenter un emballement qui prend la forme d'un acharnement politico-médiatique largement disproportionné par rapport aux vieilles "casseroles" de Médine ? Tout autant que de le mettre au même niveau que "Darmanin et autres repentis de la Manif pour tous", alors que le rappeur n'a jamais soutenu ce mouvement homophobe, ni d'ailleurs jamais tenu de discours allant contre les droits LGBT+. Têtu se décrit comme un "média en mission pour rendre le monde + gay & inclusif" : a-t-il le sentiment d'avoir ainsi rempli sa mission ?

Médine, figure intersectionnelle ?

N'aurait-il pas été plus pertinent, plutôt que de s'attacher à des propos qui ont 10 ou 15 ans, de creuser pourquoi Médine est présenté ici et là comme une figure intersectionnelle ? Du moins, comme une figure de la gauche qui cherche une convergence des luttes. Ce point n'a été évoqué par aucun média. Même l'AFP, dans une dépêche du 17 août, oppose "d'un côté, les provocations et les accusations d'antisémitisme ou d'homophobie" et "de l'autre, l'engagement contre le racisme ou les violences policières". Comme s'il était inconcevable que l'engagement du rappeur puisse recouvrir également la lutte contre l'antisémitisme (comme il le répète en une de l'Humanité) et contre l'homophobie.

Pourtant, le "tournant intersectionnel" qu'a opéré Médine est évident pour qui prend la peine de l'écouter et de suivre ses déplacements.  En mai dernier, alors qu'il était invité par Mediapart aux côtés de la drag queen Tata Foxie, le rappeur précisait qu'il était là dans une "démarche d'apprentissage des combats d'autrui" afin de "sortir de son propre «groupe»".

Dans un entretien (passionnant) pour Ballast, il confie en juillet dernier qu'il fait partie du groupe WhatsApp intersectionnel "Le Havre des luttes". Dans sa couverture du 24 août consacrée au rappeur, l'Humanité révèle qu'il publiera le 31 août une rencontre entre lui et le chanteur queer Bilal Hassani. Au Monde, le rappeur engagé confirme qu'il entend "esquisser une convergence des luttes" et qu'il est également du combat LGBT+. Une pensée intersectionnelle qu'il résumait de façon limpide dans un entretien accordé en juillet au Média – voir l'extrait ci-dessous.

Acharnement médiatique

À part l'Humanité (qui lui reconnait "de nombreuses prises de position pour les droits des LGBTQ +"), Contre Attaque (ancien Nantes Révoltée) ou encore le Média, l'ensemble de l'espace médiatique épouse le portrait que dresse de lui l'extrême-droite. Et passe sous silence tous ses discours et engagements militants, visiblement jugés moins représentatifs du Havrais que des propos tenus quinze ans plus tôt… Pour la presse, le sujet n'est pas de chercher à savoir si Médine est oui on non homophobe, oui ou non antisémite, en s'attachant aux faits ou aux discours qu'il porte aujourd'hui. Le sujet médiatique est de savoir quelles dissensions la polémique crée au sein du parti EELV, quelles figures du parti décommandent leur venue, tout en tentant d'extraire un peu plus la Nupes d'un soi-disant "arc républicain". 

À ce propos, l'épisode qui a occupé la moitié de l'été fait tristement écho aux accusations d'antisémitisme qui visaient Mathilde Panot après qu'elle avait parlé en 2022 de "rescapée" pour qualifier Élisabeth Borne repêchée in extremis dans le gouvernement. Le point commun entre les deux est cette incapacité à considérer le contexte : pour Panot, c'était le fait de filer la métaphore du Titanic qui prend l'eau. Pour Médine, c'est sa méconnaissance de l'histoire familiale de Rachel Khan : il a répondu à Rachel Khan, qui avait traité Médine de "déchet" quelques jours plus tôt avant de revenir à la charge avec un tweet adressé à Panot, en la qualifiant de "resKHANpée".

Gardons quelques secondes en tête ce contexte. Et le fait que Médine et sa famille (qui s'affichent en toute extimité sur les réseaux) utilisent à toutes les sauces le mot "Khan", sorte de "sobriquet familiale" (sic) en rapport avec le prénom de son fils, Gengis. Jusqu'à alimenter une chaîne YouTube appelée la "Khan family". Sa femme a également publié en 2021 un livre titré "Bienvenue à la Khantoche"

Beaucoup de commentateurs ont reproché à Médine de faire un jeu de mots avec un nom juif, bien que "Khan" ne soit pas un nom juif puisqu'il est celui du père de Rachel Khan plutôt que de sa mère. Ces détails, bien qu'importants, n'enlèvent rien au fait qu'au regard de l'histoire familiale de l'autrice laïcarde, le tweet a une connotation antisémite. Médine, qui s'en est vite excusé, concède sans sourciller une "maladresse" mais pas "d'ambiguïté".

Je n'ai vu que le Média et Contre Attaque préciser ces éléments qui ne relèvent pas du détail, puisqu'ils permettent de mettre grandement en doute l'antisémitisme présumé de Médine, qu'aucune autre "preuve" ne vient étayer. Partout ailleurs, cela fait un mois que l'on ressasse encore et encore cette polémique, au point que même les Grandes Gueules finissent par se demander si l'on peut parler de "lynchage médiatique" !

Peut-être que sans le manque d'actu du cœur de l'été, l'emballement n'aurait pas été si massif. Toujours est-il que l'espace médiatique est saturé du nom de Médine. Le sujet se prête particulièrement aux édito et autres billets qui ne coûtent pas cher à produire. Tout le monde y va de sa tribune, de Libé jusqu'au Monde où un historien ose affirmer que le tweet de Médine "se situe bien précisément dans l'héritage idéologique" de Jean-Marie Le Pen. Dans celle de Marianne, on peut même lire que la vraie panique morale "incontestablement orchestrée actuellement" est "celle de la menace que représenteraient les mouvements actifs à la «droite de la droite» (identitaires, ultranationalistes, voire suprémacistes)". Audacieux, surtout lorsqu'on sait que Médine faisait partie des cibles du projet d'attentat néonazi "WaffenKraft". Même Télérama y va de son billet fort peu nuancé : le journaliste n'a tellement rien à se mettre sous la dent que ce sont les propos de Freeze Corleone, dont l'antisémitisme ne fait pas de doute, qui servent à clore le papier. 

La palme du pire revient à l'article de Caroline Fourest dans Franc-Tireur, concentré d'affirmations fallacieuses. Elle y sous-entend que Médine se fait appeler ainsi, alors que c'est son "vrai" prénom. Que son album Jihad est sorti "en pleine série d'attentats" alors qu'il est paru 10 ans plus tôt, en 2005. Elle y affirme également qu'il a multiplié les quenelles "contre des sites juifs" sans en apporter aucune preuve. Puis que les textes de Médine "dégoulinent d'éléments de langage islamistes", toujours sans preuves. Pour finalement le traiter d'islamiste et de "visage de l'extrême droite à barbe".

L'extrême-droite a finalement réussi a imposer dans l'espace public son image du rappeur qu'elle considère comme un islamiste. Alors que rien dans ses chansons, sur ses réseaux sociaux, ses interviews et ses engagements ne confirme cette thèse qui ne s'appuie que sur des fréquentations anciennes du rappeur (sur lesquelles il est revenu des dizaines de fois publiquement). Cette semaine, à la veille des universités d'été EELV et LFI, le rappeur a multiplié les interviews dans lesquelles il rabâche les mêmes excuses et explications, comme pour tenter de convaincre une caste qui, quoi qu'il arrive, l'a déjà jugé coupable. Pourtant, celui qui se décrit comme un "musulman laïc" est clair :  "Je ne suis pas communautariste. […] je ne veux pas de carré musulman dans les cimetières […] je ne veux pas de créneau pour les musulmanes dans les piscines […] je ne veux pas de menus spéciaux dans les cantines", assène-t-il dans le Parisien

La majorité présidentielle a elle aussi adhéré au narratif d'extrême-droite, comme une certaine partie de la gauche. Au point que certaines figures écologistes ne sont pas venues aux journées d'été. Au point d'invisibiliser totalement tout discours politique digne de ce nom, en pleine période d'urgence climatique. Et au point de, peut-être, faire éclater la Nupes (ou ce qu'il en reste), ou sinon d'en faire partir les communistes. Au point, surtout, de révéler le paternalisme de Sandrine Rousseau ("Il faut travailler avec lui pour savoir s'il a compris le caractère antisémite de ce tweet"), et de Marine Tondelier affirmant à Libé, avant la conférence polémique, que Médine allait devoir "s'expliquer et convaincre". Une condescendance peut-être maladroite par les deux femmes acculées avec des semaines de polémique et de pressions politico-médiatiques. 

Pourtant droit dans ses bottes et obligé de rappeler qu'il est un "musulman normal", Médine a été, en ce mois d'août, l'épouvantail de toutes les obsessions politico-médiatiques. Cette médinophobie est finalement peut-être la preuve que la convergence des luttes fait plus peur qu'il n'y parait. 


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