-
Jf_Sebastien
Il est dommage d'analyser une oeuvre avec un biais cognitif (Houellebecq = islamophobie) aussi important. Du coup ça décrédibilise toute la démarche. Je note que les rappeurs ont bénéficié d'un régime de faveur par contre.
-
Hannah
" De Flaubert à Houellebecq" ou " de la bibliothèque aux lieux d'aisance"
-
Carnéade le Fataliste
Essayer de comprendre Soumission (et plus généralement l'œuvre d'Houellebecq) serait peut-être bien.
Houellebecq écrit une fable qui dérange énormément parce qu'elle évoque la corruptibilité des élites intellectuelles et l'attrait d'un retour à la patriarchie pour l'homme occidental y compris de haute éducation. Fable qui avec le recul semble particulièrement pertinente quand on voit par exemple toutes les affaires de sexisme récentes ayant concerné des personnes plutôt bien éduquées et au discours officiel plutôt inclusif (si pour l'instant ça a été des journalistes plutôt que des universitaires).
Ses personnages ne lui échappent pas. Le peu qu'il dit des sociétés islamiques non plus. Dans ce livre le peu de pages qu'il y consacre (le héros dans la tradition des personnages houellebecqiens réfléchissant bien plus à son mal être personnel) décrivent avant tout l'islamisme comme un prétexte hypocrite (le seul musulman du bouquin ayant droit à quelques dialogues, un amateur de grands vins, ne semblant absolument pas sincèrement croyant) pour éviter/revenir sur l'émancipation des femmes, l'important pour lui étant surtout de noter que ce projet de société pourrait au fond en séduire quelques uns.
Mais il est dur de déterminer si c'est ce qu'il pense de l'Islam ou s'il l'utilise juste pour la religion en général, ou toute idéologie permettant d'arriver à ce résultat, du fait que c'est celle la plus crédible pour arriver à ce résultat.
Là où il peut être vu comme réactionnaire c'est qu'il ne fournit pas de jugement négatif sur cette dystopie. Il présente même les femmes hors rares exceptions comme acceptant voire appréciant en général ce retour en arrière. Si on considérait que le sujet de son livre était l'Islamisme (mouvement politique, pas religion, puisqu'il ne présente pas les islamistes eux mêmes comme y croyant), et si on le prenait au premier degré, il faudrait donc considérer Houellebecq comme Islamophile et non Islamophobe.
Mais à mon avis ce n'est absolument pas son propos de fournir un jugement dans un sens ou dans l'autre, voire il considère ses lecteurs assez grands pour réaliser par eux mêmes que le monde qu'il décrit n'aurait rien d'idyllique pour la moitié et plus de la population (dont les hommes de basse caste se retrouvant privés de femmes tandis que les élites s'arrogeraient le droit à la polygamie, d'ailleurs). Puis c'est contraire à son idéal de l'artiste de voir l'art comme destiné à porter un message plutôt qu'un diagnostic.
Ce à quoi il réfléchit, dans tous ses livres depuis l'Extension du domaine de la lutte, c'est au malaise existentiel de l'humain détaché de toutes contraintes dans un contexte de libéralisme économique et sexuel (son personnage central, toujours un peu le même, homme occidental et plutôt bourgeois détaché des contraintes matérielles immédiates comme de toute croyance ou aspiration autre que la recherche individualiste du bonheur étant là pour l'illustrer).
Et chacun ne fait qu'examiner une piste, une tentation possible pour enfin le trouver, certaines relevant du retour en arrière d'autres de fuites en avant vis à vis de la révolution libérale et sexuelle (voir Plateforme où la "solution" examinée est le tourisme sexuel), d'autres d'une recherche plus transcendantale (adhérer à une secte et défier sa mortalité dans la Possibilité d'une Ile, s'oublier dans l'art le plus contemplatif dans La Carte et le Territoire). Mais dans tous les cas la solution évoquée elle même n'est qu'un prétexte à illustrer une nouvelle facette de l'horreur existentielle à laquelle conduisent libéralisme et individualisme, y compris pour ceux supposés le plus en profiter.
Après qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'en ai pas dit ce n'est pas pour autant un auteur de gauche. Il y a clairement quelque chose de réactionnaire (et parfaitement assumé, voir par exemple son essai sur Lovecraft) qui s'exprime dans sa manière de décrire la modernité. Et s'il devait se décider à défendre vraiment quelque chose, finalement, pour sortir de l'horreur existentielle qu'il exprime, ce serait plus probablement à un retour du religieux pour donner sens à la vie (ce qui en ferait encore plus un islamophile :) qu'à l'adhésion à des luttes sociales qu'il semble profondément mépriser comme une des choses qui ont contribué à l'extension du domaine de la lutte, au triomphe du libéralisme individualiste même au delà de la sphère économique.
Mais cela n'empêche pas une grande partie de son œuvre de faire écho à des critiques que la gauche pourrait faire de la société (et en particulier de l'état d'esprit de ses classes moyennes et supérieures, qu'il décrit si bien).
-
Tatanka
Je ne peux que plussoyer David.
Tout ceux qui ont écrit un roman (bon ou mauvais, publié ou pas) savent que certains personnages peuvent finir par faire ce qu'ils veulent dans le roman... C'est assez fascinant à observer quand on prend du recul sur ce qu'on a écrit.
-
David
Concernant Houellebecq, on peut à mon avis considérer que la véritable signification d'une oeuvre échappe parfois à son auteur. Contrairement à ce que croient la plupart des gens à commencer par Houellebecq lui-même, le sujet principal de Soumission n'est absolument pas l'Islam, en revanche c'est à mon sens un très grand roman sur le mâle quinquagénaire occidental contemporain.