Xavier Bertrand à Matignon : la petite musique qui monte
Camille Stineau - - Médias traditionnels - Coups de com' - 90 commentairesAlors que la trêve politique décrétée unilatéralement par Emmanuel Macron pour les JO touche à sa fin, les spéculations sur l'identité du futur premier ministre reprennent. Et le nom de Xavier Bertrand revient en boucle dans la bouche des commentateurs de plateaux télés, qui ne manquent pas de vendre le président de la région Hauts-de-France comme le tenant d’une “droite sociale”.
Et si c'était lui ? Depuis quelques jours, la petite musique sur l'hypothèse Xavier Bertrand à Matignon s'installe dans les médias. Son nom a commencé à être cité dès la mi-juillet, avant que Gérald Darmanin ne déclare le 29 juillet qu'il s'agit d'un "homme politique avec une très grande compétence et qui peut servir grandement la France". Et puis tout s'accélère le 6 août, lorsque Xavier Bertrand lui-même se déclare "prêt" dans le Figaro Magazine
. Article très rapidement modifié, pour finalement préciser que ce sont ses proches - et non lui-même - qui le déclarent "prêt à relever le défi" de Matignon. Contacté, Carl Meeus, auteur de l'article et rédacteur en chef du Figaro Magazine, n'a pas donné suite.
Très vite, l'info est reprise par tous les grands médias. Et en fin d'après-midi ce 6 août, le bandeau de BFMTV interroge : "Xavier Bertrand : la solution pour Matignon ?" La question pourrait prêter à sourire si elle n'était pas posée sérieusement. Anne Saurat-Dubois, journaliste politique de la (désormais) chaîne du milliardaire Rodolphe Saadé, précise ainsi que le président de la région Hauts-de-France "a un profil qui peut fonctionner". Elle ajoute que, selon l'entourage de Xavier Bertrand, ce dernier pense à Matignon depuis quelques temps déjà, avant même la dissolution, car "voyant qu'il n'y avait pas de majorité absolue, Xavier Bertrand a considéré que le pays devait sortir de cette difficulté comptable en termes de députés" à l'Assemblée nationale. Personne sur le plateau de la première chaîne d'info de France ne viendra rappeler qu'en termes de difficulté comptable, les LR qui ont présenté près de 400 candidats aux élections législatives mais n'ont obtenu que 47 élus ne sont pas forcément les plus légitimes pour gouverner. Personne non plus ne mentionne le fait que le candidat LR à la présidence de l'Assemblée nationale, Philippe Juvin, n'a obtenu que 48 voix sur 577 députés.
Malgré tout, le plateau de BFMTV n'a pas l'air emballé à l'idée de voir Xavier Bertrand devenir Premier ministre. Alain Marschall, présentateur de BFM Story, décerne ainsi la "médaille d'or de la confusion politique" à Emmanuel Macron, quand Anne Saurat-Dubois pointe du doigt le "déni" d'une partie de la macronie qui souhaite continuer une politique de centre-droit, comme si de rien n'était.
L'enthousiasme du "Figaro Magazine" et de Nathalie Saint-Cricq
Le Figaro Magazine
, tout en étant conscient que la nomination de Xavier Bertrand dépend de la volonté d'Emmanuel Macron, a plus de mal à cacher son enthousiasme. Le journal du groupe Dassault vante ainsi l'ancien ministre de la Santé comme le "tenant d'une droite équilibrée entre justice sociale et ordre républicain". Plus loin, Carl Meeus, rédacteur en chef du Figaro Magazine
et auteur de l'article, met en avant ce qui constitue, selon lui, des atouts de Xavier Bertrand. Il a battu deux fois le RN dans la course à la présidence de la région Hauts-de-France, en bénéficiant d'un "tout sauf le RN", comparable à celui qui s'est exprimé dans les urnes au second tour des législatives. Le Figaro Magazine
oublie cependant de nous rappeler que battre le RN n'est pas un programme de gouvernement, et que l'addition des députés LR et macronistes permet à peine d'atteindre les 213 députés, bien loin de la majorité absolue située à 289.
Une fois n'est pas coutume, France 5 et l'émission C dans l'air ont été en avance sur l'info, puisque la chaîne du service public diffusait dès le 18 juillet un sujet intitulé "Xavier Bertrand à l'offensive pour Matignon". Sur le plateau, Caroline Roux, citant la question d'un téléspectateur, rappelle l'incongruité de l'hypothèse Xavier Bertrand, alors que les LR ne sont arrivés qu'en quatrième position aux élections législatives, loin derrière le Nouveau front populaire, le camp présidentiel et le Rassemblement national. Heureusement, Nathalie Saint-Cricq est là pour assurer le service "avant-vente" de Xavier Bertrand - tout en précisant qu'elle n'est pas là pour faire sa promo -. Se prenant un instant pour madame Irma, elle anticipe qu'il n'aura pas de majorité absolue contre lui à l'Assemblée nationale, rendant impossible l'adoption d'une motion de censure. Le délégué général de l'institut de sondage Ipsos, Brice Teinturier, abonde : "C'est la droite sociale, ça permet éventuellement de tempérer une opposition à gauche, au moins sur certains projets".
De droite, oui. Sociale, vraiment ?
La "droite sociale". C'est donc le qualificatif qui ressort quand il s'agit de vendre la pertinence de l'hypothèse Xavier Bertrand à Matignon. Sur ce point, les journalistes politiques reprennent à leur compte les éléments de langage des proches de Bertrand. On a pu lire le 6 août dans Sud Ouest
un article intitulé "Nouveau gouvernement : pour Matignon, Emmanuel Macron tenté par la droite sociale de Xavier Bertrand ?"
Le même jour sur BFMTV, les téléspectateurs ont entendu, au cours de l'émission BFM Story, François Durovray, responsable idées du mouvement Nous France, dirigé par Xavier Bertrand, et Anne Saurat-Dubois, parler tous deux de cette fameuse "droite sociale" dont Xavier Bertrand serait l'incarnation.
Une expression qui a le don d'agacer Rob Grams, auteur d'un éditorial intitulé "Xavier Bertrand : modéré en apparence, le pire du macronisme dans les faits"
, publié dans le média Frustration
dont il est rédacteur en chef adjoint. Il explique auprès d'Arrêt sur images : "Quand on fait du journalisme politique, et quand on utilise un concept, le minimum c'est de le définir. Ensuite, il faudrait montrer ce qui rattache Xavier Bertrand à ce concept de «droite sociale». Le travail des journalistes devrait être de rappeler le bilan et le parcours réel des politiques, et non de nous vanter des traits de leur personnalité. À Frustration, on trouve que ça manque un petit peu de rigueur".
Et pour cause, le 6 août, sur le plateau de BFMTV, il manquait un invité ou un journaliste capable de rappeler que le Xavier Bertrand héraut de la "droite sociale" ressemble étrangement au Xavier Bertrand qui défendait la retraite à 64 ans lors de la primaire des LR pour la présidentielle de 2022. Personne non plus n'a fait le lien entre ce Xavier Bertrand de "droite sociale" et celui qui, en tant que secrétaire d'État chargé de l'assurance maladie, a grandement contribué à la mise en place de la tarification à l'acte en 2004, dont découlent nombre de difficultés de l'hôpital public aujourd'hui. Les téléspectateurs devront également effectuer des recherches complémentaires, s'ils veulent savoir si le Xavier Bertrand qu'on leur vend comme de "droite sociale" est bien le même que celui qui a contribué à mettre en œuvre la réforme de l'assurance maladie de 2004, instaurant notamment le reste à charge de 1€ pour chaque consultation médicale.
Il est aussi tout à fait regrettable qu'aucun journaliste n'ait été présent pour rappeler certains scandales dans lesquels Xavier Bertrand est impliqué et qui pourraient ternir son image de représentant de la "droite sociale". C'est en effet lui qui, en 2006, avait refusé de dérembourser le Mediator, alors que la haute autorité de santé avait conclu que ce médicament - responsable de 1 500 morts à 2 100 morts - ne présentait "aucun intérêt de santé publique". En 2011, le Canard Enchaîné avait finalement révélé qu'au moment même où Xavier Bertrand avait renouvelé le remboursement du médicament, deux de ses conseillers travaillaient pour le laboratoire Servier, fabricant du Mediator. "Grâce à Victor Castanet
[auteur de l'ouvrage Les Fossoyeurs sur la maltraitance dans les Ehpad, NDLR], on sait que Xavier Bertrand est très proche des dirigeants d'Orpea, et a contribué à ce que ce soit eux qui dominent le marché des Ehpad en France"
, ajoute enfin Rob Grams, à propos de celui qui était notamment en charge des sujets liés à la dépendance en tant que ministre de 2007 à 2009. Des accusations que le principal intéressé réfute.