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Chronophagos
Puisqu'on évoque le Wisconsin et que l'article cite des journaux locaux ainsi que le sort des enseignants de Madison, c'est l'occasion de rappeler que cet état était le pays adoré et quasi mythifié de Clifforf D. Simak, cet auteur de science-fiction unique par la place occupée par la campagne et ses habitants dans ses romans du genre.
Fils de fermiers, instituteur puis journaliste professionnel (il dirigera entre autre l'information d'un journal de Minneapolis), il a fait ses études dans cette même université de Madison citée dans l'article de Gilles Klein. Naturaliste, son rêve s'arrête aux portes des hommes : même dans cet environnement parfois sublimé, il les croque sans complaisance.
Si Demain les Chiens est le plus célèbre de ses romans, c'est dans le chef d'oeuvre "Au Carrefour des Etoiles" que Simak peint son Wisconsin avec la puissance d'évocation la mieux maîtrisée, et la plus forte incarnation de sa vision humaniste contrariée, le personnage d'Enoch Wallace.
Cet homme des année cinquante a été choisi par un gigantesque oecumène galactique dont le monde ignore l'existence. La Terre se trouvant au carrefour de routes cosmiques empruntées par les multiples espèces et civilisations qui le constituent, les aiguilleurs de l'espace installent un point de passage, une sorte de téléporteur et ses machines, qu'ils dissimulent dans sa maison. Il en sera le machiniste, recevant et envoyant les voyageurs, communiquant avec certains, lorsque c'est possible, entretenant des relations, échangeant des cadeaux, recevant quelquefois des présents déroutants ou magiques.
Atlas en tension perpétuelle sous l'immense secret qu'il porte, il a comme seuls amis un voisin, une petite fille muette, et deux êtres virtuels, don ambiguë de ses employeurs, et comme compagne une routine de chef de gare; qu'elle soit galactique ne change pas grand-chose : Vierzon a longtemps charrié sa part d'exotisme. C'est la création du rapide, le gain de temps, qui est perte d'exotisme, d'altérité. Le fortuit est éliminé comme on chasse le frottement. Or le frottement, c'est la possibilité de la rencontre.
Simak sait tout cela et le dit, dans ce livre*, avec les dents, mais sans jamais mordre. C'est un homme doux. A l'époque où le mimétisme s'est tout à coup retourné vers les modèles durs, comme toujours incapable de trouver une mesure, cette douceur lucide, jamais mielleuse, parfois âpre, et ne transigeant jamais avec le nécessaire, éclaire quelquefois nos propres scènes avec la netteté d'un soleil que la pluie a lavé. Et s'il se laisse malheureusement parfois conduire, aveugle comme nous tous, par une main ouvertement consolatoire, sa langue n'est jamais complice. Seulement les vertiges métaphysiques qui hantent et fatiguent. Mais ça se voit, et il n'y a donc aucune tromperie.
Parce que ceux qui pensent qu'il faut nous violenter avec les mots sinon nous ne bougerons pas, journalisme littérature textes trash, langage de rue, sors de ta couette, gamin mouton bourgeois mollesse, bouge ton cerveau fouette, saine émulation qui révèle le meilleur : ceux-là seront d'accord avec ces "libéraux" qui disent pareil, sors de tes allocs, retraite, sécurité sociale, confronte-toi aux autres, à leur violence, plus d'État, plus de câlins, bouge ton cul fouette, saine émulation qui révèle le meilleur.
Cette contradiction m'a toujours fait tiquer, même si bien entendu, les conséquences sont différentes et que l'expression peut être rude et géniale. Il m'arrive également d'y avoir recours.
Je réagis simplement lorsqu'elle s'érige en système, en suspicion, en mode, et lui retourne son compliment.
Donc Simak n'est pas à la mode**, raison de plus pour aller, comme le personnage figuré au cours du roman par une statue arc-boutée contre le vent, contre le vent.
C'est aussi une manière de découvrir cette région des Etats-Unis, de l'intérieur. C'est la raison d'être de ce commentaire.
* Son oeuvre est inégale et souvent mal traduite. Ses derniers romans sont malheureusement assez mauvais. Ses meilleures années vont de 1951 à 1965, et ses romans aboutis sont Demain les Chiens, Dans le Torrent des Siècles et Au Carrefour des Etoiles, de très loin son chef d'oeuvre, Prix Hugo 1964, qui suivit celui de Philip K. Dick en 1963 pour l'extraordinaire uchronie "Le Maître du Haut-Château". Certaines de ses nouvelles des années d'or sont remarquables.
** Egalement en SF, la mode étant aux prospectives XXIe geek très noires. Oui, il y aussi les énormes ventes du Space-Opéra de type P. Hamilton/A. Raynolds. Ou Wilson, et la Fantasy (vaste sujet) mais je n'étais pas parti pour un article SF. -
Gilles Klein
@Tom Merci de l'info pour la RTBF et Kruman -
Le Monolecte
Faut préciser deux-trois petites choses en passant : celui que les manifestants brocardent en le surnommant Sky Walker est un digne représentant du fameux Tea Party dont on avait entendu parler pour les dernières élections et que ces nouveaux élus n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère en commençant directement par pratiquement supprimer tout impôt sur les sociétés, ce qui a provoqué un déficit abyssal dans les caisses de cet État qui était à l'équilibre avant, malgré la crise des subprimes et ses petits. En bons gros libéraux pas raffinés pour un radis, après avoir coulé le budget de l'État, ils décident de se refaire en coupant dans les dépenses, à savoir plus particulièrement les salaires des fonctionnaires de l'État, salaires pourtant déjà réputés pour leur maigreur, puisqu'il devient de plus en plus "normal" que des profs cumulent avec un autre petit boulot pour arriver à boucler les fins de mois.
Là, le plan, c'était priver les fonctionnaires de la plupart de leurs droits et de basculer sur eux la charge de payer leur retraite et leur Sécu, ce qui dans un pays comme les USA, revient à pratiquement diviser le salaire par deux.
Du coup, on comprend mieux que les gars ne veulent plus rien lâcher. Parce que le rêve américain est déjà un foutu cauchemar de tiers-monde.
Dans la plupart des États américains, l'heure est à l'essorage des populations : relèvement de l'âge de la scolarité obligatoire, suppression d'heures de cours, tout est bon pour grappiller quels dollar de plus sur le dos des plus faibles.
Sinon, je compile ce que je trouve là : http://seenthis.net/tags/wisconsin-12053 -
J.F. Sebastian
Autre info concernant les USA, mais non liée à l'article de Gilles (désolé pour le hors sujet) : les anti avortement gagnent du terrain... Avec un projet pour tuer avortement et planning familial en leur coupant les fonds.
Sachant qu'en plus, la composante raciale entre en jeu, puisque des aides sont prévues pour aider les femmes pauvres à financer leur contraception, et que les femmes noires sont statistiquement plus pauvres que les blanches... Sans compter que les examens médicaux étaient l'occasion de dépister de nombreuses maladies.
La presse francophone semble s'en contrefoutre (2 articles dans google actu : http://news.google.fr/news/story?pz=1&cf=all&ned=fr&cf=all&ncl=dN-h55xq9Ps5q_MdDyG_xcaEdH0iM ), mais côté US, on a plusieurs centaines d'articles pro et anti : http://news.google.fr/news/story?pz=1&cf=all&ned=fr&hl=en&cf=all&ncl=d1WJma6YBvBGpmM8OhtjJvJzCzKAM .
Si j'ai bien compris les dernières infos, c'est pour le moment en train de passer...
Et pendant ce temps, les républicains continuent de soutenir les programmes de promotion de l'abstinence auprès des jeunes, alors même qu'il a été démontré qu'ils sont un échec complet ( relations sexuelles non retardées, nombreuses grossesses chez les adolescentes puisque les jeunes n'apprennent plus rien de la contraception). -
Tom-
Salut Gilles. Juste pour vous dire que vos billets sont de plus en plus construits. Et signaler aux @sinautes que la RTBF traduit chaque semaine le billet de Paul Krugman.
http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_jeu-de-pouvoir-dans-le-wisconsin?id=5653883&chroniqueurId=5032403