Willkommen dans l'inconnu !

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Des gifles, des gifles cruelles, ces images des Allemands accueillant les réfugiés.

Tiens, les Français, prenez-vous ça dans la figure, prenez-vous les caisses d'habits, prenez-vous les caisses de nourriture, les bouteilles d'eau, les amoncellements de chaussures, et par dessus tout, prenez-vous les sourires, et les haies d'honneur, et les pancartes Welcome, Willkommen ! Prenez-vous ça dans la figure, tous ensemble, les politiques cauteleux, les sondés frileux, et les Grands Noms de la communauté juive française, les Badinter, les Arno Klarsfeld, héritiers des pourchassés d'hier, qui estimez qu'il faut aujourd'hui monter le pont-levis.

Il fallait voir Mélenchon, sur France 5, pris à contrepied dans sa germanophobie, rappelant (à raison) que la politique de Merkel est à l'origine de l'exode de centaines de milliers de Grecs ou d'Espagnols, mais incapable, en échange, de trouver les mots pour reconnaître et saluer, non pas Merkel, à la remorque, mais l'élan de la société allemande. Que le Willkommen allemand soit seulement sous-tendu par la conscience inquiète du déclin démographique du pays, que les milliers de volontaires qui se pressent dans les gares soient les marionnettes d'un patronat avide de voir arriver une main d'oeuvre à bon marché, notre émission de cette semaine (Ah, regardez-la, Jean-Luc Mélenchon !) pulvérise cette clé de compréhension simpliste, et ridicule. Les raisons profondes du Willkommen sont à chercher ailleurs, dans l'histoire du pays, dans sa mentalité, dans ses remords, peut-être. Peu importe. Arrivent parfois, dans une vie politique, des moments de bascule, où il faut se hisser au-dessus de ses constructions intellectuelles, pour parvenir à cet immense exploit de simplement tenter de nommer ce qu'on voit.

Ce que l'on voit ? L'Allemagne vient de faire tomber un mur, un mur invisible, plus implacable encore que le mur de Berlin. "Une expérience a commencé. Elle va modifier plus profondément l'Allemagne que la réunification. Devant nous, c'est l'inconnu"dit un éditorial de la Zeit. Et un sociologue : "nous sommes les Américains de l'Europe, que nous le voulions ou non". Ce sont les seuls mots adaptés à la situation. Oui, l'inconnu est devant nous et nous ne pouvons, humblement, que le reconnaître comme inconnu. Avec un pauvre réflexe simpliste, qui nous murmure qu'il est préférable, tant qu'à faire, d'entrer dans l'inconnu avec des fleurs et des ballons, plutôt qu'avec des chiens policiers.

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