Weinstein : les espions du producteur (The New Yorker)
Juliette Gramaglia - - 0 commentairesDossiers sur la vie privée des actrices et journalistes, utilisation d'anciens espions pour récolter des informations... Une nouvelle enquête du New Yorker révèle les méthodes utilisées par le producteur Harvey Weinstein, accusé par une centaine de femmes de harcèlement sexuel, d'agression sexuelle et de viol, pour tenter d'étouffer l'affaire avant qu'elle ne sorte et discréditer ses accusatrices.
Après les agressions, les espions. Le producteur américain Harvey Weinstein, accusé par une centaine de femmes d'abus sexuels, allant parfois jusqu'au viol, aurait engagé une "armée d'espions" pour surveiller des actrices et des journalistes enquêtant sur lui, dans l'espoir d'empêcher la parution d'enquêtes contre lui. C'est ce que révèle un nouvel article de Ronan Farrow, à l'origine de révélations sur Weinstein, dans le New Yorker, ce 6 novembre. Dans son enquête, Farrow révèle qu' "au cours d'une année [depuis l'automne 2016, ndlr] Weinstein a fait «cibler» ou collecter des informations sur une douzaine de personnes par des entreprises [privées de sécurité, ndlr], et fait compiler des profils psychologiques qui parfois se concentraient sur leurs histoires personnelles et sexuelles." Photographies d'actrices en compagnie de Weinstein pour prouver leur proximité, dossiers sur les vies privées d'actrices et de journalistes... Les enquêteurs engagés par Weinstein n'ont visiblement pas chômé. La porte-parole de Weinstein, Sallie Hofmeister, dénonce une "conspiration" et une "fiction" auprès du New Yorker.
"L'armée d'espions de Harvey Weinstein"
New Yorker, 6 novembre 2017
Que révèle Farrow ? Parmi ces entreprises privées de sécurité qui ont travaillé pour Weinstein, pour un montant de plusieurs centaines de milliers de dollars : Black Cube, "une entreprise dirigée en grande partie par des anciens officiers du Mossad et d'autres services de renseignement israéliens". Par l'intermédiaire de l'un de ses avocats, David Boies (qui a défendu Al Gore lors des élections de 2000), Weinstein a signé plusieurs contrats avec l'entreprise cette dernière année, dont l'un récemment en juillet 2017 détaillant les "objectifs premiers" de la boîte pour ce contrat : "fournir des informations qui aideront les efforts du client [Weinstein, ndlr] pour stopper complètement la publication d'un article dans l'un des journaux principaux de New York", et "obtenir du contenu supplémentaire d'un livre qui est en cours d'écriture et contient des informations négatives et nocives à propos du client". Boies, dont la firme d'avocat défendait en parallèle le New York Times dans un procès en diffamation, a nié tout conflit d'intérêt.
Rose McGowan dans le viseur
Ce livre, d'après Farrow, c'est celui de Rose McGowan, Brave, ouvrage autobiographique qui doit paraître en janvier prochain. L'une des voix les plus présentes sur Twitter depuis plusieurs semaines pour dénoncer les agissements de Weinstein et d'autres figures publiques avait déjà été contactée en mai 2017 (avant la signature du contrat cité ci-dessus) par une femme se faisant appeler Diana Filip et se faisant passer pour une dirigeante d'une société londonienne de gestion de fonds du nom de Reuben Capital Partners. "Filip a dit à McGowan qu'elle lançait une initiative pour combattre la discrimination contre les femmes au travail", raconte Farrow. Elle aurait ainsi rencontré plusieurs fois McGowan pour discuter d'une possible intervention à un gala sur le sujet.
Sauf que, d'après les informations récoltées par Farrow, Diana Filip, qui a enregistré plusieurs heures de conversations avec McGowan, "était le pseudonyme d'une ancienne agente des forces de défenses israéliennes" et Reuben Capital Partners n'existe pas (le site de l'entreprise n'existe plus). D'après le New Yorker, cette même femme aurait également contacté un journaliste du New York Times, Ben Wallace. Se faisant passer pour une victime de Weinstein, sous le nom d'Anna, elle aurait en réalité tenté d'extraire des informations sur l'avancée de l'enquête de Wallace (elle n'a pas été publiée, par manque de témoignages selon le journaliste lui-même). Ce dernier la soupçonnant même d'avoir tenté d'enregistrer leurs conversations. La même employée de Black Cube a également contacté par mail Farrow lui-même et Jodi Kantor, l'une des journalistes qui a publié la première enquête sur les agissements de Weinstein dans le New York Times.
McGowan aurait également été dans le viseur d'une autre société, la société Kroll qui, raconte Farrow, a fait parvenir onze photos de l'actrice aux côtés de Weinstein, des années après le viol dont elle accuse le producteur, afin de discréditer le témoignage de l'actrice s'il venait à sortir.
Des journalistes à la rescousse
Mais Weinstein ne se serait pas contenté d'engager des anciens espions. Il aurait également fait appel à des journalistes pour collecter des informations. Ainsi, un journaliste aurait contacté en fin d'année 2016 Elizabeth Avellan l'ex-femme de Robert Rodriguez, qui l'avait quittée pour entamer une relation avec McGowan. La conversation, dont Avellan aurait exigé qu'elle soit en off, aurait eu pour but d'obtenir un témoignage négatif sur l'actrice américaine, et aurait été enregistrée par le journaliste. Ce dernier aurait ensuite transmis l'enregistrement à Dylan Howard, cadre exécutif au sein de American Media Inc., qui publie le National Enquirer. Qui, à son tour, aurait communiqué le contenu de la conversation à Weinstein.
Le désormais ancien producteur, renvoyé de sa boîte de production après les premières révélations, aurait également embrigadé des anciens employés pour ses opérations de surveillance. Sous le prétexte de vouloir écrire un livre sur les "années Miramax" (du nom de la société de production), Weinstein leur aurait demandé une liste d'anciens employés et d'actrices. Certains d'entre eux ont raconté à Farrow avoir reçu des coup de téléphones "effrayants".
Enfin Weinstein aurait tenté directement de dissuader certaines actrices de rendre leurs témoignages publics. En décembre 2016, il aurait ainsi demandé à l'actrice italienne Asia Argento, qui depuis son témoignage dans le New Yorkersubit le "slut-shaming" d'une partie des médias italiens, un rendez-vous avec l'un de ses enquêteurs privés pour qu'elle donne "un témoignage en sa faveur". Une proposition qu'Argento refusera.
Depuis les premières accusations publiques de harcèlement, agression sexuelle et viol début octobre, plusieurs enquêtes ont été ouvertes contre Weinstein, à Londres, Los Angeles et New York. La police new-yorkaise a assuré ce vendredi 3 novembre avoir "un vrai dossier" contre Weinstein, après les accusations d'une actrice new-yorkaise Paz de la Huerta, qui affirme avoir été violée à deux reprises en 2010.