Votre photo, avec ou sans blanchiment ?

Alain Korkos - - 0 commentaires

Quand certains photographes de presse utilisent un peu trop les logiciels de retouche photographique, on quitte la photo de reportage pour entrer dans le domaine de la fiction. Quand l'une de ces photos est primée par le World Press Photo 2013, l'affaire donne lieu à une polémique dont il fut question dans cette chronique-ci, et cette émission-là.

Et pendant qu'on s'agite autour de cette fameuse photographie qui n'est plus tout à fait une photo de presse, d'aucun continuent de gentiment modifier l'aspect des photos de reportage pour faire joli, pour sacrifier à une mode.

La mode de ces temps-ci (qui dure depuis un certain temps déjà), c'est le "traitement sans blanchiment" dont voici un bel exemple, puisé en page 2 du Monde paru hier et daté d'aujourd'hui. Admirons cette photo de Beppe Grillo, l'ex-comique italien devenu politicien :

Photo © A. MMO/REDUX/RÉA


L'image est un peu grisâtre, bleuâtre, aussi. Et très contrastée. Elle a subi un "traitement sans blanchiment", qui est à l'origine une manipulation chimique pratiquée en laboratoire de développement. Il s'agit de retenir, sur des films en couleurs, les particules d'argent qui d'ordinaire sont évacuées. Il en résulte une image ressemblant à une photo noir et blanc posée par-dessus une photo couleurs. La saturation est réduite, le contraste est augmenté, l'ensemble prend un aspect vaguement métallique.

Voici, pour bien montrer la différence, une photo "normale" suivie par sa version "sans blanchiment" :

Phots © ma pomme


Cette technique, aujourd'hui opérée grâce aux logiciels de traitement d'images (Lightroom, Photoshop, Magic Bullet Looks pour les vidéos), est née au cinéma. Elle a été inventée pour le film Ototo (Her Brother) de Kon Ichikawa, en 1960 :


Le procédé tomba ensuite dans l'oubli avant d'être ressuscité dans les années 80-90 avec, notamment, des bobines telles que 1984 de Michael Radford, Seven de David Fincher (1995), Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg (1998), etc. :

Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg, 1998


On retrouve ce "traitement sans blanchiment" dans de nombreuses séries policières amerlocaines récentes, et aussi en France, forcément. Voici, par exemple, sur le site de la série Engrenages de Canal +, l'image annonçant la version "jeu en ligne" de ladite série :


Nous avions commencé par une photo d'actu parue dans Le Monde ; nous sommes ensuite passés au cinéma de fiction et aux séries télé policières. Terminons avec ces images extraites du site internet de la police de Milwaukee (Wisconsin), vingt-cinquième ville des Étazunis en nombre d'habitants. Admirons cette jolie image :


Où sommes-nous exactement ? Dans la réalité ou la fiction ?



Remerciements à l'aimable @sinaute qui m'avait signalé l'existence du site de la police de Milwaukee.



L'occasion rêvée de lire ma chronique intitulée World Press Photo 2013, ou la souffrance assombrie désaturée.

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