Visage Mahomet : L'obs censuré au Maroc
Alain Korkos - - 0 commentaires
Un article du Monde.fr daté du 4 janvier 2012 nous apprend que "Le Maroc a bloqué la distribution d'un hors-série sur le monde arabe du Nouvel Observateur parce qu'il publiait une représentation du visage du prophète Mahomet".
Le Monde rappelle que "Cette décision des autorités marocaines intervient quelques jours après l'interdiction de l'hebdomadaire français L'Express, qui avait publié un dossier de 95 pages sur l'islam, dans lequel figurait une représentation du visage du prophète Mahomet."
Christophe Barbier, directeur de la rédaction de L'Express, proteste dans un éditorial : "pour se conformer à l'usage en cours dans certains pays, et bien que cela n'ait pas toujours été le cas à travers l'Histoire, L'Express a pris l'initiative de voiler le visage de Mahomet. Ainsi, les préceptes religieux même les plus sévères ne peuvent être invoqués pour mettre en cause notre dossier."
De son côté, Claude Weil, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, affirme : "Il n'y a dans ce hors-série aucune représentation du visage du prophète et n'importe quel lecteur peut le constater."
"La couverture du numéro est un photo-montage représentant un alignement des portraits d’Abd el-kader, du Prince Fayçal d’Arabie, du philosophe Averroès, de la blogueuse Lina Ben Mhenni et de Gamal Abdel Nasser", précise l'AFP.
Cela dit, qu'en est-il exactement de cette interdiction de représenter le visage de Mahomet ? Est-elle mentionnée dans le Coran ? A-t-elle, pour les Musulmans, force de loi en tout temps et en tout lieu ? En vérité je vous le dis, aucune sourate du Coran ne l'énonce. Tout au plus trouve-t-on, dans la sourate XXI, des versets relatifs à la destruction d'idoles. Rien de plus. (Voir par là les versets 53 à 69.)
Ce sont des docteurs de la loi qui, bien après Mahomet, promulguèrent des textes juridiques relatifs aux images dans le but de combattre toute tentation d'idôlatrie (on connut le même phénomène en Europe aux VIIIe et IXe siècles avec l'iconoclasme byzantin).
Ainsi Yahya ibn Sharaf al-Nawawi qui écrivit, au XIIIème siècle :
" La représentation figurée des êtres vivants est rigoureusement interdite et compte parmi les péchés les plus graves, car elle est menacée du châtiment douloureux mentionné dans les hadîth. Peu importe que cette représentation soit réalisée sur des objets d’usage vil ou non, sa réalisation est, de toute façon, interdite, car elle consiste en une imitation de la création de Dieu. Peu importe qu’elle se trouve sur un tissu, un tapis, un dirham, un dinâr, un vase, un mur, etc. Quant à la représentation figurée d’arbres, de selles de chameaux ou d’autres objets qui ne sont pas des êtres vivants, elle n’est pas interdite. "
Si l'on constate que de nos jours les prescriptions d'al-Nawawi sont assez suivies, elles furent par le passé plus ou moins respectées selon les lieux et les époques, plutôt moins que plus.
Deux exemples :
Le Miraj ou la chevauchée nocturne de Mahomet vers le Paradis,
extrait du Jami' al-Tawarikh (L'Histoire universelle du Monde)
de Rashid al-Din, Perse, 1307
Mahomet prêchant sur le mont Ararat,
extrait de al-Âthâr al-bâqiyah (Vestige des siècles passés)
par Abu Rayhan al-Biruni, copie du XVIe siècle d'un manuscrit du XIVe
Mais on trouve aussi, a contrario, de nombreuses illustrations où le visage de Mahomet est dissimulé par un voile (parfois, celui-ci a été gratté avant que d'être recouvert) :
Mahomet fend la lune,
extrait du Fal Nameh (Le Livre des Sorts), Perse, XVIe siècle
Le Miraj ou la chevauchée nocturne de Mahomet vers le Paradis
illustration extraite des Cinq Poèmes de Nezâmî, Perse, XVIe siècle
Détail
Les Cinq Poèmes de Nezâmî (né au XIIème siècle), est l'une des plus célèbres oeuvres de la littérature médiévale persane. On en compte au moins deux cent quarante-cinq versions illustrées différentes. Certaines montrent Mahomet avec le visage découvert, d'autres le montrent voilé.
Alors ? Faut-il cacher le visage de Mahomet ou pas ? Eh bien…ça dépend des moeurs du moment ! Les théologiens musulmans, qui évoquèrent maintes fois ce sujet au cours des siècles, ne parvinrent jamais à établir un dogme intangible, coulé dans le bronze. Et l'on peut trouver, encore aujourd'hui, des réponses divergentes sur cette question (voir cette discussion, sur le site de la Maison de l'Islam). Les autorités marocaines, quant à elles, ont tranché.
L'occasion de lire deux précédentes chroniques : Plantu, les moghols, et les safavides, et La burqa et la fleur d'amandier.