Virage à droite : oeillères et calculettes

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires

Il faut saluer l'aveu, même tardif.

"Notre profession relève souvent de l’imposture : il s’agit d’expliquer des choses qu’on ne comprend pas soi-même !" De qui, cet aveu quasi-socratique ? De Franz-Olivier Giesbert, bien sûr, l'innénarrable, l'irremplaçable FOG, orfèvre du cynisme médiatique français, qui quitte (presque) la direction du Point à la fin de la semaine, admettant benoîtement qu'il ne comprend rien au numérique et à tous ces bidules, et qui confie donc à Télérama qu'il n'est donc plus "l'homme de la situation". Il faudrait d'ailleurs le compléter, cet aveu. Il n'y a pas seulement "ce que l'on ne comprend pas". Il y a tout ce que l'on ne sait pas. Sans parler de tout ce que l'on ne veut pas savoir, ce qu'on refuse de voir, ou ce que l'on ne perçoit qu'à moitié, de l'oeil droit, ou de l'oeil gauche.

L''aspect économique de la conférence de presse de François Hollande offre un exemple de choix de ces perceptions hémiplégiques. Si tous les observateurs-commentateurs "de gauche" déplorent son "virage à droite", ses adieux à la gauche, son ralliement avec armes et bagages à la social-démocratie traîtresse, leur homologues libéraux n'en sont pas plus joyeux pour autant, redoutant le piège. Il n'est quà voir notre libéral préféré, Stéphane Soumier (BFM Business), ou notre confrère Nicolas Beytout (L'Opinion) triturant leurs calculettes dans tous les sens à propos des baisses de cotisations sociales des entreprises, en se demandant où est l'embrouille. Mais l'actu n'attend pas. Cet objet brumeux, dont les contours ne se dégageront (s'ils se dégagent) que tardivement, il faut pourtant l'expliquer, en débattre, s'engueuler à son sujet, comme s'i l'on avait tout compris.

"Expliquer des choses qu'on ne comprend pas soi-même" : on ne peut pas s'empêcher d'avoir cette phrase en tête, en assistant comme à Roland Garros aux joutes théologiques, depuis deux jours, à propos de la politique de l'offre et de la politique de la demande. La relance par l'offre est-elle forcément de droite ? La relance par la demande est-elle forcément de gauche ? Peut-il exister une politique de l'offre de gauche ? Une politique de la demande de droite ? Le summum est atteint par ces émouvants souvenirs de ses cours de sciences éco, qu'exhume du fond de sa mémoire mon excellent confrère Pascal Riché, de Rue89. On comprend que nombre de ses confrères préfèrent le feuilleton de la rue du Cirque, où l'on n'en sait pas davantage, mais dans lequel il est si délicieux de ne pas savoir.

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