Violence policière en Afrique du Sud : une journaliste témoigne

Sophie Gindensperger - - 0 commentaires

Sophie Bouillon, journaliste française de 25 ans, a reçu le prix Albert Londres en 2009 pour un reportage sur le Zimbabwe de Mugabe. Aujourd'hui basée en Afrique du Sud, elle s'est heurtée la semaine dernière, avec un ami zimbabwéen, à la violence et à l'arbitraire policiers. Son témoignage, publié sur Facebook, a notamment été repris par Libération.fr.

"L’apartheid n’est pas mort. Il n’est pas vivant. Comme un cheval souffrant, ce système raciste de cinquante ans d’âge, convulse, donne des coups. Inattendus", commence le témoignage de Sophie Bouillon.

"Vendredi soir, 22h00, envie de sortir. J’embarque Tendai avec moi pour un concert au centre-ville de Johannesburg. Barrage de police. J’étais assez fière : moi qui mets rarement ma ceinture et qui oublie toujours mon permis de conduire, j’étais parfaitement en règle. Un policier blanc nous fait signe de nous arrêter. C’est idiot, mais dans ma tête, je me suis dit qu’heureusement que je n’avais rien à me reprocher, car les blancs n’acceptent pas les pots-de-vin. Les « cool drinks » comme on les appelle ici.
Mais il a quand même trouvé quelque chose. Une blanche avec un noir, Zimbabwéen de surcroit, l’occasion était trop belle.
- Tu n’as pas de numéro d’enregistrement pour étranger qu’il faut obtenir au commissariat.
- Un quoi ? jamais entendu parler. Mon visa est en règle, mon permis est accrédité par l’ambassade,… vous voulez dire que tous les touristes qui arrivent dans ce pays doivent faire la queue au commissariat avant d’aller au parc Kruger pour obtenir un numéro ?
- Oui. C’est 1000 Rands d’amende (environ 100 euros).
2010 n’est décidément pas mon année. Je pars, résignée, récupérer mon amende.
La procédure est longue. Tendai vient jusqu’à la voiture de police pour comprendre ce qu’il se passe. Je lui glisse que le flic me donne une amende de 1000 Rands.
- T’inquiète pas… on va la faire annuler en Cour de Justice, me rassure Tendai. Ce numéro, ça n’existe pas."


"La phrase de trop. La seule. Le policier s’énerve.
- Parce que toi ZIMBABBOUEN tu crois que tu connais mieux la loi sud-africaine que moi ? Puisque t’es si sûr, j’embarque ta copine. Elle passe en Cour de justice lundi. En attendant elle va passer le week end en cellule.
Il me pousse dans le fourgon. "


(...)
"Après une demi-heure, toujours assise dans le fourgon de police, Tendai vient voir comment je vais. Il tente de me faire sortir de là. Il s’énerve.
- Je ne veux pas que vous l’emmeniez. Vous êtes fou.
- Ah ouais, je suis fou ? Eh ben tu vas passer la nuit avec elle.
Il se jette hors de la voiture, claque la porte à faire trembler tout Johannesburg. Se jette sur Tendai pour lui passer les menottes.
- C’est bon ! hurle Tendai, j’ai pas besoin de menottes. Fuck you !
Il le jette à terre. Sa tête claque contre le trottoir. Il l’asperge de spray au poivre. Tendai hurle.
- Sophie regarde, regarde, c’est de la brutalité policière. Regarde !
Assise dans le fourgon, je ne peux plus bouger. Je suis paralysée.
- Tu vas voir ce que c’est la brutalité policière, you ZIMBABBOUEN.
Il le frappe à coups de pieds au sol. Dans le dos. Coups de poings dans le visage.
Tendai hurle. Son blouson est plein de sang. Je suis paralysée.
- De l’eau, s’il vous plait, apportez moi de l’eau… je vais mourir. Je peux plus respirer. Sophie, apporte moi de l’eau, je vais mourir.
- Tu veux de l’eau ? Tiens. Le flic l’asperge encore plus de spray au poivre. Dans le visage, dans la gorge. Dans le caleçon.
Tendai hurle de douleur. Il pleure comme un enfant. Je sors finalement du fourgon et m’approche pour le calmer. Je prends sa tête entre mes mains.
- Toi tu dégages, me crie le policier. T’as pas honte ? Il m’asperge à mon tour de spray. Je ne vois plus rien. Je ne peux plus bouger. Je m’assieds sur le trottoir. Je suis paralysée. Je bouche mes oreilles pour ne plus entendre les hurlements de Tendai. "


Emmenée en cellule, elle sera finalement libérée sous caution, et doit être jugée très bientôt. Pour conclure, elle écrit. "Ce soir-là, je voulais écrire un nouvel article sur mon blog, intitulé « L’Afrique du Sud n’est pas l’Angola », pour rappeler que le pays est prêt à accueillir la Coupe du Monde. Finalement, je ne l’écrirai pas."

La violence en Afrique du Sud est-elle occultée par les médias ? C'est la question que posait notre émission avec l'écrivain sud-africain Breyten Breytenbach.

Lire sur arretsurimages.net.