Valls/Autain : d'où vient l'accusation "d'islamo-gauchisme" ?
Vincent Coquaz - - 0 commentaires"Vous avez parlé d'islamo-gauchisme et notamment à propos de Clémentine Autain et Tariq Ramadan."
Dimanche 24 avril, sur le plateau d'i24news et en direct sur BFMTV, la journaliste Apolline de Malherbe a demandé au premier ministre s'il s'excusait pour ses propos contre la conseillère régionale Ile-de-France Front de Gauche, et porte-parole du mouvement Ensemble, Clémentine Autain, qualifiée "d'islamo-gauchiste". Refus catégorique de Manuel Valls, qui dénonce les "ambiguités" d'une partie de la gauche sur des thèmes comme l'antisémitisme ou la laïcité.
Mais d'où vient cette accusation ? Tout est parti du secrétaire d’Etat aux relations avec le parlement, Jean-Marie Le Guen. Dans son livre La gauche qui vient, publié fin avril, il s’en prenait à cette gauche "qu’on pourrait être tenté de qualifier – de manière polémique – «d’islamo-gauchisme»". "Pour des raisons compassionnelles, en ne voyant les personnes d'origine arabo-musulmane que comme des victimes et des opprimés, cette gauche, bien incarnée par Clémentine Autain, est prête à céder totalement au différentialisme culturel", lançait Le Guen.
Autain lui a répondu sur Facebook, le 24 avril : "Où a-t-il vu que je souhaite remplacer nos règles républicaines par des normes religieuses ? Jamais je n'ai défendu une telle ineptie. Que signifie «islamo-gauchiste» ? Jamais je n'ai défendu le «différentialisme culturel», je suis profondément universaliste et laïque, mais je défends la mixité culturelle, comme une richesse." Déjà début avril, interrogée par Libération sur ce terme, Autain s’en expliquait : "Je ne comprends pas exactement ce que veut dire le mot [islamo-gauchisme], mais si ça désigne l’intersectionnalité des luttes [le fait de considérer des discriminations, racistes et sexistes par exemple, comme s’additionnant ou se recoupant], alors oui, c’est ça qui me préoccupe. Je suis de gauche, et je me bats contre le rejet des musulmans en France."
Un meeting en décembre 2015... auquel Autain n'a pas participé
Pas suffisant pour Manuel Valls. Dimanche matin, alors qu’il estimait que Tariq Ramadan n’avait pas à obtenir la nationalité française, le premier ministre a repris à son compte l’accusation "d’islamo-gauchisme", citant Le Guen. "Il y a toujours ces capitulations, ces ambiguïtés, avec Les Indigènes de la République, les discussions avec Madame Clémentine Autain et Tariq Ramadan, ambiguïtés entretenues qui forment le terreau de la violence et de la radicalisation", détaillait le premier ministre. Des propos maintenus le jour même, donc, en direct sur i24news et BFMTV.
Entre temps, Autain avait pourtant vivement démenti avoir jamais "rencontré personnellement" Ramadan. "Ces propos sont mensongers. Je n'ai jamais rencontré personnellement Tariq Ramadan, ni partagé de tribune avec lui. Ces accusations ineptes visent à dire que moi-même, et à travers moi ma famille politique, seraient le terreau du terrorisme", dénonçait-elle à l’AFP. "Je n’ai jamais de ma vie rencontré Tariq Ramadan, je ne le connais pas. J’ai exprimé publiquement mon désaccord profond avec les propos et les partis pris réactionnaires de Tariq Ramadan", insistait-elle encore, interrogée par France Info. "Sans excuse" de la part du premier ministre, elle envisageait donc de "porter plainte". Des excuses que Valls a refusé de lui présenter, maintenant ses propos sur le plateau d’i24news, sans que les intervieweurs du groupe Drahi ne lui demandent de préciser ce qu’il reprochait à Autain.
Mais alors à quoi fait-il référence ? Le "contentieux" remonte en fait à décembre dernier, quelques jours avant les élections régionales, raconte L’Obs. Le site du mouvement Ensemble, dont Autain est porte-parole, avait alors relayé une "invitation" au "meeting pour la paix de Saint-Denis" contre l’islamophobie et l’état d’urgence, où s’exprimait, entre autres, Tariq Ramadan. "Le parti de Clémentine Autain appelle à se rendre" à "une réunion controversée" s’indignaient alors Le Figaro et Causeur, notamment en raison de la présence de Ramadan mais aussi de la participation du Collectif contre l’Islamophobie en France ou du Parti des Indigènes de la République. Un meeting auquel Clémentine Autain n’a pas assisté. Reste que sur France Culture, l’essayiste Caroline Fourest avait estimé que c’était "sans doute en partie à cause" d’Autain, colistière de Claude Bartolone, que "le PS a perdu en Île de France" aux élections régionales de décembre 2015. Et ce parce que son mouvement avait "relayé l’appel" au meeting.
L'occasion de lire nos articles relatifs à ce sujet : Ramadan : Mediapart et Le Monde entrerrent la thèse du double discours, et BFMTV, Libé, L'Express, i24news: quatre medias, une seule ligne?