US: rectificatifs et excuses des médias trumpistes
Pauline Bock - - Intox & infaux - 30 commentairesAcculés, les médias trumpistes paniquent et s'excusent
Panique dans les médias américains ultra-conservateurs. Après des années à diffuser des fake news souvent tout droit venues de la bouche (ou du compte Twitter) du président Trump, ils sont désormais priés de répondre de leurs actions.
"Ces affirmations sont complètement fausses et n'ont aucune base de réalité." Le blog conservateur American Thinker a fait son mea culpa le 15 janvier dans un post intutilé sobrement "Communiqué", reconnaissant que plusieurs de ses articles publiés ces derniers mois "accusent à tort" l'entreprise Dominion de "conspiration pour voler à Donald Trump" l'élection de novembre 2020. "Ces articles se basaient sur des sources discréditées qui ont colporté des théories prouvées fausses à propos des liens supposés de Dominion au Venezuela, de la soi-disant fraude sur les machines de vote Dominion qui auraient résulté en un changement massif de vote ou en votes truqués, et d'autres fausses affirmations amenant de soi-disant preuves des actes frauduleux de Dominion."
American Thinker précise en début d'article que ce texte a été publié sur la requête des avocats de Dominion, qui a porté plainte pour diffamation. En bref, c'est la panique dans les cercles ultra-conservateurs qui, après des années à publier et diffuser des fake news souvent tout droit venues de la bouche (ou de feu le compte Twitter) du président Trump, sont désormais priés d'assumer les conséquences de leurs actes.
Le communiqué se lit comme on lirait les excuses d'un jeune enfant forcé de reconnaître sa responsabilité dans une grosse bêtise. "C'était mal de publier ces fausses affirmations. Nous présentons nos excuses à Dominion pour les dommages causés ainsi qu'à leurs employés. Nous présentons également nos excuses à nos lecteurs (...) Nous regrettons cette grave erreur."
Excuses de Fox News et Newsmax
Dominion mais aussi Smartmatic, une entreprise qui construit des systèmes de vote électronique, ont lancé des ultimatums légaux à plusieurs médias trumpistes. Le 14 décembre 2020, Smartmatic a annoncé son intention de porter plainte pour diffamation contre Fox News, Newsmax et One America Network s'ils ne rétractaient pas les "douzaines" de fausses informations diffusées. Le communiqué de Smartmatic les accuse d'avoir "publié des informations fausses et diffamatoires". "Ils n'ont pas de preuve pour soutenir leurs attaques contre Smartmatic parce qu'il n'y a pas de preuves. Ceci est une campagne de désinformation pensée pour porter atteinte à la compagnie et à discréditer les élections présidentielles qui ont été tenues en toute légalité," a déclaré le PDG de Smartmatic en regrettant le tort causé non seulement à la démocratie des États-Unis, mais à toutes les démocraties du monde.
La chaîne américaine Newsmax a ainsi été forcée, elle aussi, de reconnaître son erreur dans un communiqué publié en décembre et intitulé "Des faits que vous devez connaître sur les compagnies Dominion et Smartmatic"
: "Nous n'avons aucune preuve que Dominion ou Smartmatic ont programmé ou reprogrammé des logiciels qui auraient manipulé les votes de l'élection de 2020. (...) Ni Dominion ni Smartmatic n'ont de relations avec George Soros. Smartmatic est une entreprise américaine et n'est pas la propriété du gouvernement vénézuélien, de Hugo Chavez, ni d'aucune entité ou élu étranger." Comme le notait Thibault Prévost dans une précédente enquête sur les chaînes ultra-trumpiennes abonnées aux fake news, Newsmax, "le Fox News d'Internet" basée en Floride, appartient à Christopher Ruddy, un proche de Donald Trump.
Même la chaîne Fox News, dont le soutien sans faille à Trump s'écaille depuis quelques mois, a été priée de faire des excuses. Le 19 décembre dernier, Fox News consacrait une pastille de deux minutes, diffusée sur trois programmes différents, aux "fact-checks" nécessaires à la suite des allégations qu'elle avait relayées sur la soi-disant fraude électorale facilitée par Smarmatic et Dominion. Rien n'indique en revanche qu'il s'agit d'un sujet que la Fox se trouve forcée à diffuser afin d'éviter de gros ennuis : le bandeau l'introduit comme un "zoom sur les affirmations à propos de Smartmatic" tandis que le présentateur, Lou Dobbs, mentionne qu'ont circulé "beaucoup d'opinions sur l'intégrité de l'élection, du système de votes par correspondance, des machines et du logiciel de vote" avant d'ajouter que "l'une de ces compagnies [qui les fabrique] est Smartmatic". Un sujet lambda, en somme, pour le téléspectateur lambda qui n'est pas au courant de la menace déposée par Smartmatic envers Fox News... et dont Fox News se gardera bien de parler !
On va donc chercher un spécialiste de la tech, Eli Perez de l'Open Source Election Technology Institute, et lui poser des questions, pré-enregistrées. C'est lui - et seulement lui - qui va mentionner les communiqués respectifs de Smartmatic et Dominion et préciser qu'il n'y a "aucun lien" entre les deux entreprises. A Lou Dobbs qui lui demande s'il a observé "une preuve quelconque de l'utilisation des logiciels Smartmatic pour truquer des voix dans n'importe quel endroit des États-Unis pendant l'élection" ou "une preuve de lien quelconque entre George Soros et Smartmatic", l'expert interviewé répond : "Non, aucune". Zéro commentaire de fin de la part de Dobbs : l'interview terminée, on passe tout de suite à la pub. Ce qui a bien fait rire les médias plus attachés à rapporter des faits vérifiés durant le mandat Trump, qui ont titré : "Le présentateur de Fox News, Lou Dobbs, fact-checke ses propres mensonges en direct".
Panique chez les pro-Trump
Après le bannissement de Twitter de Donald Trump, encore président pour quelques jours (jusqu'au 20 janvier), la panique s'étend dans la sphère politico-médiatique conservatrice aux États-Unis. Depuis qu'il a incité à une insurrection au Capitole et menti sur le résultat des élections, Trump est lâché de toutes parts. Le retour de bâton sur les médias ayant relayé ses mensonges est d'autant plus fort que les menaces de poursuites judiciaires qui fondent sur eux planent aussi sur Trump lui-même et son équipe de menteurs professionnels. Ce sont en effet les proches et conseillers du président Trump qui ont le plus souvent été invités sur ces mêmes médias pour y proférer leurs contre-vérités.
Le 9 janvier, Dominion a déclaré poursuivre en justice Sidney Powell, un ancien avocat de la campagne de Trump, qui a prétendu pendant plusieurs mois que Dominion avait truqué l'élection présidentielle et que l'entreprise était liée au régime vénézuélien (Dominion, fondée à Toronto au Canada, est maintenant installée à Denver dans le Colorado). Montant des dommages et intérêts réclamés : 1.3 milliard de dollars. Parmi les autres membres de la "team Trump" qui pourraient s'inquiéter figure en bonne position l'avocat de longue date de Trump, Rudy Giuliani, qui tweetait en décembre des affirmations sur Smartmatic et Dominion jugées "controversées" par Twitter :
Et les entreprises diffamées ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Dans une interview à la radio publique NPR le 12 janvier, le PDG de Dominion, John Poulos, soulignait les "dommages financiers catastrophiques"
faits à sa compagnie et déclarait vouloir aller jusqu'au procès dans sa plainte contre Sidney Powell - dont la fortune personnelle ne peut couvrir le montant demandé. "Un accord à l'amiable ne couvrirait même pas une partie des dommages qui ont été faits à notre réputation," expliquait-il à NPR. Il promettait de "combattre ces fausses affirmations une par une" et ajoutait garder la porte ouverte à de possibles futures poursuites judiciaires : "La plainte [contre Sidney Powell] n'est que le premier pas. (...) Personne n'est à l'abri, notre équipe d'avocats étudie toutes les possibilités, de poursuivre tout le monde." Y compris, donc, le bientôt-plus-président Trump.
Un article paru le 15 janvier dans le New York Magazine détaille à quel point Trump est près de toucher le fond : il doit déjà faire face à deux précédentes plaintes en diffamation, à 300 millions de dollars de prêts qui arrivent à échéance, et à la crise de sa Trump Organization, qui souffre de son image toxique et de la fermeture de ses hôtels en temps de pandémie. Sans compter les ennuis judiciaires qui risquent de lui tomber dessus sous peu : "Le 20 janvier à midi, Trump sera dans une situation désespérée. (...) L'addition arrive," conclut le New York Magazine. Ajoutez à cela un potentiel milliard de dommages et intérêts à verser à Smartmatic et/ou Dominion... Pourtant, l'auteur du best-seller L'Art du Deal devrait le savoir mieux que personne : le droit américain ne plaisante pas avec la diffamation, ni les commerciaux avec leur réputation. It's just good business*.
* "C'est juste du business"