Une interview de Lloris sur l'homophobie enterrée par la FFF

Marina Fabre Soundron - - Silences & censures - 48 commentaires

Quand Lloris comparait l'homophobie à du "folklore"

La Fédération française de football a-t-elle mis sous le tapis un clip contre l'homophobie dans le foot ? C'est ce que pense l'initiateur du projet, l'ancien footballeur Yoann Lemaire qui a interviewé trois joueurs de l'Équipe de France en mars dernier, dont le capitaine Hugo Lloris, et qui attend toujours la diffusion du clip par la FFF. Il faut dire que les réponses du gardien des Bleus étaient loin d'être à la hauteur du sujet.

Les images, enregistrées le 27 mars 2022, semblent embarrasser la Fédération française de football (FFF). Après plusieurs années de négociations, dues selon lui à la frilosité de la Fédération sur le sujet de l'homophobie, Yoann Lemaire, ancien footballeur et président de l'association de lutte contre l'homophobie Foot ensemble arrive à Clairefontaine, lieu phare des entraînements de l'Équipe de France. À ses côtés, son collègue et journaliste Bertrand Lambert, président des PanamBoyz & girlz united, un club de foot 100 % inclusif luttant contre l'homophobie, est venu lui prêter main forte. Ils vont enfin pouvoir commencer le tournage de leur clip dédié à la lutte contre l'homophobie dans le football. La FFF a accepté que plusieurs stars hexagonales participent à cette vidéo de sensibilisation destinée aux jeunes joueurs et aux entraîneurs dans les milieux pro et amateur. Mais à leur arrivée, surprise, trois joueurs seulement vont se prêter au jeu : Jules Koundé, Jonathan Clauss et Hugo Lloris, le capitaine. 

Des réponses "désespérantes"

"Déjà, on était déçus, trois joueurs sur une équipe de 24, ça en dit long", soupire Lemaire. D'autant que sur les trois joueurs, seuls deux semblent avoir pris la mesure du problème qu'ils vont devoir évoquer en interview : "Clauss était sympathique, Koundé incroyable, il nous a raconté qu'il était victime de racisme en Espagne et qu'il voulait lutter contre toutes les discriminations", se souvient Lemaire. Il déchante pourtant pendant l'interview d'Hugo Lloris, capitaine de la sélection : "Il était à côté de la plaque. Je lui ai posé des questions sur les insultes homophobes, les «va te faire enculer sale pédé» qu'on entend dans les tribunes et sur les bancs. Lloris me répond que c'est du «folklore», que c'est le «langage du foot»." Un sentiment de déception partagé par son ami Bertrand Lambert : "Par rapport aux propos tenus par ses deux coéquipiers c'était le jour et la nuit. Lloris a tenu un discours d'une platitude sans fin, les réponses étaient vraiment désespérantes."

Sur les images du tournage, qu'ASI a pu visionner en exclusivité, Hugo Lloris reconnait d'abord que l'homosexualité dans le foot est "un sujet tabou" "J'ai toujours été contre toute forme de discrimination et l'homophobie en fait partie parce que ça n'a pas sa place dans la société mais également dans le football. Le sport doit nous unir." Pour le capitaine, l'homosexualité est "quelque chose de personnel". "Je juge pas mes coéquipiers par rapport à leur religion, par rapport à ces choses-là, je les juge en tant qu'êtres humains mais également en tant que footballeur", dit-il. 

Mais à la question "En tant que capitaine de l'équipe de France, quel conseil tu pourrais donner aux capitaines de tous ces clubs amateurs qui, parfois, ils le disent, entendent que le fait d'avoir un gay dans l'équipe ça dégoute ? […] Les mots «pédé», «tarlouse», pour s'encourager, les insultes sur le terrain, les tribunes…. En tant que capitaine, qu'est ce qu'on peut leur dire à tous ces capitaines… ?" , le gardien des Bleus rit… et formule une réponse en cohérence avec son attitude :  "Après c'est le folklore, le football… Lorsqu'on est sur un terrain, ça fait partie du décor, les supporters qui chambrent, on peut se faire insulter. À la rigueur on peut s'en servir comme motivation supplémentaire dans l'adversité, on a envie d'en découdre sur le terrain."

"Le timing est troublant" 

Échaudé par ces réponses, Yoann Lemaire envoie tout de même les rushs à la FFF qui doit gérer la finalisation du clip. Le timing est serré, le président de Foot ensemble espère que le clip sera diffusé le 17 mai 2022, pour la journée mondiale de lutte contre l'homophobie. Dans le calendrier prévisionnel envoyé par l'association à la FFF et auquel ASI a eu accès, on peut ainsi lire "Tournage en mars pour les joueurs de l'équipe de France" puis "diffusion en mai ou septembre (à définir et rediscuter)". L'enjeu pour Yoann Lemaire est que le clip soit diffusé avant la Coupe du monde au Qatar. Là encore, ses espoirs sont douchés. "Pendant six mois, personne ne me répond à la FFF. Puis on m'envoie une première version du clip de cinq minutes. On a gardé les trois phrases potables de Lloris (citées plus haut, ndlr), et les propos de Clauss et Koundé qui remontent le niveau", assure-t-il.

Mais quasiment deux mois plus tard, à quelques jours de l'ouverture de la Coupe du monde au Qatar, le clip n'est toujours pas diffusé. "Franchement je pense que la FFF n'a jamais vraiment voulu diffuser ce clip…", avance Yoann Lemaire. "C'est quand même assez rare d'arriver à faire parler trois joueurs de l'équipe de France d'homophobie et d'homosexualité dans le sport. La FFF avait fait un premier pas puis derrière ils font comme si ça n'était jamais arrivé. C'est quoi le sens de tout ça ?", interroge Bertrand Lambert.

"On invisibilise ce tournage comme on invisibilise les discriminations"

La FFF refuserait-elle de froisser le Qatar, à quelques jours du lancement du Mondial ? Alors qu'en septembre, date à laquelle Yoann Le Maire reçoit une première version du clip, la France s'engage avec huit sélections européennes* à porter un brassard "One love" à bandes colorées symbolisant la lutte contre les discriminations, le 14 novembre en conférence de presse à Clairefontaine le capitaine de l'équipe de France fait machine arrière. Hugo Lloris affirme que l'équipe ne portera pas de brassard en soutien aux personnes LBGTQI+ durant le Mondial au Qatar : "Sur ce dossier, j'ai mon opinion personnelle et ça rejoint un peu celle du président (de la FFF Noël Le Graët, ndlr), commente-t-il. Lorsqu'on accueille des étrangers en France, on a souvent l'envie qu'ils se prêtent à nos règles et respectent notre culture. J'en ferai de même lorsque j'irai au Qatar. Je peux être d'accord ou pas d'accord avec leurs idées mais je dois montrer du respect par rapport à cela."

Le 11 novembre, Noël Le Graët (par ailleurs mis en cause par le magazine So Foot dans une enquête révélant les messages à caractère sexuel envoyés à plusieurs de ses collaboratrices) 
affirmait déjà dans une interview à l'Équipe ne pas souhaiter que Lloris porte le brassard "inclusif" : "On va en discuter. Mais j'aime autant qu'il ne le fasse pas. On va jouer dans un pays que l'on doit respecter. Mais s'il faut le porter, on le portera. Ce n'est pas que je ne suis pas favorable à ce brassard, mais quelques fois, je me dis que l'on veut être tellement donneurs de leçon qu'il faudrait regarder aussi ce qui se passe chez nous." Face à la polémique provoquée par ce nouveau revirement, la FFF a finalement annoncé que les Bleus financeraient des ONG de défense des droits humains.

L'épisode du brassard a fini de convaincre Yoann Lemaire que son clip ne verrait jamais le jour : "J'ai décidé de ne pas poursuivre mon partenariat avec la FFF. Ça fait des semaines qu'aucun de mes contacts là-bas ne me répond plus. Après ce que Lloris vient de dire, c'est impossible qu'ils le diffusent", tranche l'ancien joueur. "On invisibilise ce tournage comme Noël Le Graët invisiblise les discriminations", renchérit Bertrand Lambert. Le journaliste fait référence à des propos tenus par le patron du football français en septembre 2019. Au micro de Franceinfo, il exhortait à ne pas arrêter des matchs en cas de propos ou de manifestations homophobes dans les stades. "L'arrêt des matchs ne m'intéresse pas. J'arrêterai un match pour des cris racistes, ça c'est clair", affirmait-il. De son côté, Yoann Lemaire ne décolère pas : "Les joueurs ont un devoir d'exemplarité, c'est vraiment humiliant pour la France et le football."

*Mise à jour : Le 21 novembre, dans un communiqué, les sept sélections européennes qui s'étaient engagées à porter le brassard "One Love" ont finalement renoncé à le faire. "La FIFA a été claire sur le fait qu'elle imposerait des sanctions sportives si nos capitaines portaient ce brassard sur le terrain", indiquent les fédérations.

Contactée à de multiples reprises par ASI, la FFF n'a pas donné suite à nos sollicitations. 

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