Un silence au carré
Daniel Schneidermann - - 0 commentairesC'est le scandale à vaguelettes du soir. Nouvelle présentatrice des journaux du week-end de TF1
, Anne-Claire Coudray comparait devant le tribunal de carton-pâte de Anne-Sophie Lapix et Patrick Cohen, sur France 5. Et que va-t-on lui reprocher ? Attention, ouvrez les yeux et les oreilles, ceci : pourquoi, lors de son premier jité, n'a-t-elle pas dit un mot pour saluer son ex-collègue Claire Chazal ? Et que pense-t-elle de la manière dont Chazal a été évincée ? Ce sont, à l'évidence, les deux questions que se pose la France entière, à la pause déjeuner des ateliers et des bureaux. Mais pourquoi Anne-Claire Coudray n'a-t-elle pas dit un mot sur Claire Chazal ? Et ça dure, et on y revient, et Cohen insiste, remonte à l'assaut. On se pince. Sur le service public, de longues minutes sont consacrées à se demander pourquoi Anne-Claire Coudray n'a pas dit un mot sur Claire Chazal ?
Chaque soir, l'émission d'Anne-Sophie Lapix reçoit à jets continus des visages et des voix connus du système médiatique. Dans les seules deux dernières semaines, ont défilé Sophia Aram, François Morel, Eric Zemmour, Eric Naulleau, Michel Cymès, Julien Bellver, Patrick Le Lay, Julian Bugier, Jean-Jacques Bourdin, et Christophe Barbier. Cette catégorie écrase celle des politiques, des écrivains, ou des artistes. C à vous se positionne donc comme une "émission medias", la version moyenne gamme du "bas de gamme" Hanouna, qui sévit à la même heure dans l'empire Bolloré. Parfait. Pourquoi pas ? Et il est vrai que soir après soir, on pourrait s'y laisser prendre, se laisser persuader qu'on nous dévoile "vraiment" les coulisses de l'univers enchanté.
Or il existe un sujet d'enquête, un vrai, dont pourrait s'emparer C à vous. Il n'est pas besoin de le chercher bien loin. Il est présent sur le plateau de l'émission. Tous les soirs. Il sourit, il ne dit jamais rien, comme nous le remarquions hier. Il s'appelle Pierre Lescure. Pourquoi, en vertu de quels accords, de quelles contreparties, l'ancien président de Canal+, actuel président du Festival de Cannes, porte-parole officieux de l'industrie culturelle française, ami personnel de François Hollande (il concède que sa relation avec Hollande "a pu jouer" dans sa nomination au festival de Cannes), a-t-il été bombardé dans l'emploi fictif le moins dissimulé de tout l'audiovisuel français ? A-t-il été imposé là par le lobby culturel ? Par Hollande ? Par les deux ? Chaque soir, l'émission consacre un temps non négligeable à son auto-bêtisier, à revenir sur les gaffes et les lapsus de son équipe. Mais jamais n'est souligné le silence de Lescure. Ce silence au carré montre exactement, à qui voudra l'entendre, où sont les vrais tabous.