Un reportage de France Culture censuré par la justice (Mediapart)

Manuel Vicuña - - Silences & censures - 0 commentaires

Dans les tribunaux français, la justice s’administre loin des caméras et des micros.

A titre exceptionnel, pour une série de reportages au long cours, France Culture avait obtenu l’autorisation d’enregistrer les audiences du tribunal de Marseille. "Mais lors d'un procès en comparution immédiate, les magistrats ont tellement dérapé, dans l'expression et dans la sanction, que le tribunal a pris peur et rompu l'accord", explique Mediapartdans une enquête publiée ce jeudi qui évoque un cas de censure.

La journaliste de la radio publique Pascale Pascariello avait en effet obtenu le feu vert exceptionnel de la justice pour enregistrer pendant plusieurs mois le tout venant des petits procès qui font le quotidien du tribunal. C'est ainsi que le 10 février, elle suit et enregistre le procès d’ "Ahmed", 18 ans, jugé en comparution immédiate pour avoir volé des téléphones portables à de jeunes collégiennes. À chaque fois, il a violenté les victimes et provoqué des interruptions temporaires de travail inférieures à huit jours. "Pendant les 48 minutes que dure le procès, tout interpelle, depuis la première phrase jusqu’au prononcé du jugement, que nombre de magistrats marseillais jugent d’une sévérité injustifiable. Et injustifiée", explique Mediapart qui a récupéré l’enregistrement intégral "grâce à des magistrats et avocats effarés" par la tournure prise par l'audience. Mediapart en publie des extraits.

Ce qui interpelle, c’est d’abord l’attitude de la présidente, qui apostrophe le prévenu d’un: "C’est honteux, monsieur. Il n’y a même pas de mots. On ne sait même pas comment est-ce[sic]qu’on arrive encore à vous regarder comme un être humain." C’est ensuite la procureure qui poursuit sur le même ton: "Vous êtes odieux et en plus, vous faites semblant de vous excuser.[...]Vous serez peut-être engagé d’ici quatre ans, cinq ans, six ans, dans une émission de télé-réalité où vous viendrez nous expliquer le bonheur que vous avez eu à agresser des gamines. Mais enfin, dans quelle société vit-on ?" Au bout du compte, le tribunal condamne le jeune homme, au casier judiciaire vierge et traité pour troubles psychiatriques, à cinq ans de prison, dont quatre ans et demi ferme, avec mandat de dépôt.

"un miroir a été tendu à la justice. Elle a préféré le casser."

Après ce procès dont des extraits ont été diffusés le 20 février dans l’émission Les Pieds sur terre, le tribunal a soudain décidé de retirer à France Culture son autorisation d'enregistrer. Motif invoqué : le reportage de la journaliste serait biaisé, non contextualisé. C’est pourtant le concept même de l’émission de France Culture que de donner à entendre des extraits sonores exempts de commentaire. Sans compter, précise Mediapart, "que la présidente de l’audience, Delphine Belmontet, avait elle-même écouté le reportage avant sa diffusion et qu’elle n’avait rien trouvé à y redire".

Alors pourquoi cette volte-face du tribunal ? Parce que cette audience de comparution immédiate est "un condensé de ce qui se fait de pire en matière de justice d’urgence", une justice "inhumaine, brutale, déloyale" pointe Mediapart. Le site constate qu’"un miroir a été tendu à la justice. Elle a préféré le casser." Syndicat de la magistrature, juges et avocats abondent. Tel ce magistrat "très respecté au sein du tribunal" de Marseille, interrogé par Mediapart et qui s’étrangle : "Quand la présidente du tribunal dit qu’on ne peut plus regarder ce jeune homme comme un être humain, c’est inqualifiable. Que dirait dans ce cas un président d’assises devant un crime ou même le président d’un tribunal correctionnel devant des faits autrement plus graves?" Ce même magistrat n’en revient pas : "Cette audience est effrayante tellement elle est conduite de façon peu professionnelle. C’est “collector”. Un juge d’instruction qui tiendrait des propos de ce genre dans son cabinet, ça ne tiendrait pas deux minutes."

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