Twitch : fini les decaunnades !

Daniel Schneidermann - - 0 commentaires


Peut-être faudra-t-il retenir le 30 août 2014 comme la date à laquelle Canal+ aura inopinément basculé dans la ringardisation.

Comme souvent, ces grands basculements sont indépendants de la volonté de leurs acteurs. A bien regarder la séquence fatale, dans laquelle de Caunes soupire qu'il ne veut pas d'un monde dans lequel "des gens regardent d'autres gens jouer", la sincérité et la profondeur de l'indignation sont tout sauf évidentes. Comme toujours avec lui, on ne sait pas à quel degré on se situe, entre le second et le dixième ou le douzième. Antoine de Caunes, icône ressuscitée de la déconne fin de siècle, a-t-il chuté dans la catégorie des "vieux cons" ? Disons surtout qu'il ne sait trop quoi penser des jeux vidéo, que cet univers lui est étranger, ce qui est déjà une manière de réponse.

La communauté des joueurs, en revanche, sait parfaitement quoi penser de ceux qui font mine de penser des horreurs sur elle. Dès que la séquence fatale est mise en ligne sur le site de Canal+, la bronca qui se développe rappelle les plus belles heures des lynchages anti-Bilalian, ce qui ne nous rajeunit pas. La bronca est compréhensible. Même si leurs pratiques culturelles sont aujourd'hui économiquement dominantes, beaucoup de joueurs de jeux vidéo, comme d'amateurs de BD, ont conservé une susceptibilité d'adeptes de "sous-cultures" stigmatisées, qu'ils furent longtemps. Et l'affront decaunien est d'autant plus violent qu'il provient du coeur de la chaîne du foot : on ne se souvient pas d'avoir entendu de Caunes, ni a fortiori son prédecesseur Denisot, soupirer qu'ils ne voulaient pas vivre dans un monde où des gens regardent des gens taper dans un ballon (ni d'ailleurs dans un monde où des gens regardent des gens causer, sortir des blagues, ou devenir célèbres en jouant à des jeux de plage, puisque la vieille télé, finalement, se résume à ça).

Mais dans l'épisode, le plus intéressant reste la promptitude affolée des excuses, d'abord sur Twitter puis, lundi soir, sur le plateau du Grand journal. C'est cette terreur, qui mieux que tout, dit l'angoisse de l'engloutissement. Alors que Canal+, dans deux semaines, va encaisser de plein fouet le choc Netflix dont nul ne sait si elle sortira vivante, le moment est mal choisi, pour la vieille télé, et surtout pour la vieille télé qui celèbre chaque année son languissant anniversaire de concubinage avec le vieux cinéma sur les tapis rouges de Cannes, pour se mettre à dos le vaste empire des internautes. Face  aux barbares, le temps n'est plus à la decaunnade.

Après le sacrilège, excuses d'Antoine de Caunes et de Mathilde Serrell

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