Tunisie : comment être journaliste après la révolution ? (Télérama)

La rédaction - - 0 commentaires

Télérama publie dans son numéro du 4 juin un reportage (disponible

icien version courte) sur les médias tunisiens. La révolution a complètement changé la donne dans un milieu qui a subi plus trente ans de censure. Les journalistes ne savent plus sur quel pied danser. La liberté apporte de nouvelles interrogations sur la complaisance de certains envers le régime de Ben Ali.

Thierry Leclère, le journaliste de Télérama, commence par raconter sa rencontre avec Lina Ben Mhenni, "blogueuse de la première heure qui a ferraillé contre la censure au point de devenir l'une des bêtes noires de la police de Ben Ali." Elle arrête la conversation :"«Tourne la tête.» Un jeune homme en chemise violette, cheveux gominés, vient d'entrer dans le café et lui sourit. Un ami? «Non, c'est un des anciens flics qui me surveillaient au temps de Ben Ali. Avant, ces gars-là m'insultaient. Maintenant ils viennent vers moi pour dire qu'ils sont innocents.»"


La fin de la censure devrait être une bonne nouvelle pour cette femme. Mais la situation est devenue paradoxale. "Avant la révolution, je connaissais la majorité des blogueurs. Aujourd'hui, c'est flou. Intox, diffamation... Trop de rumeurs. C'est vraiment compliqué de s'informer. Avant, je savais d'où venait le danger. Aujourd'hui, tout le monde se met sur Internet. Les insultes et les menaces peuvent venir de partout, des islamistes à l'extrême-gauche. J'ai peur et je m'autocensure" .

Le journaliste constate : "A côté des blogueurs et de la galaxie Facebook, de plus en plus confuse, à côté d'anciens médias alternatifs comme la radio Kalima, maintes fois censurée sous Ben Ali et toujours en attente d'une fréquence, ou de sites de presse comme Kapitalis, le paysage médiatique n'a pas changé fondamentalement depuis la révolution. De la Télévision nationale au quotidien La Presse, les médias de l'ancien régime sont toujours en état. Avec les mêmes journalistes, ou presque."

Le journaliste recueille le témoignage, sans illusion et sincère, du chroniqueur Khaled Tebourbi du journal Presse: "Ici, tout le monde s'est incliné... plus ou moins, constate le journaliste de 64 ans, qui a passé l'essentiel de sa carrière au service culture. Ce qui me sauve, c'est de ne pas être tombé dans le panégyrique du régime. Mais mes articles sont quand même tous bons à être jetés. Pas un de valable. Nos rédacteurs en chef qualifiaient de «bien dites» les phrases de nos articles qui ne voulaient rien dire. Il y avait des virtuoses de la phrase creuse. Depuis le 14 janvier, je suis me beaucoup interrogé. Je ne savais pas que les révolutions pouvaient faire autant souffrir. C'est un débat de soi à soi. Insupportable. Une voix vous dit que vous êtes un type bien et dix voix vous disent non. Maintenant comment croire les journaux? La purge, dans les médias, n'est pas faite."

Le site de Télérama propose une carte interactive : Tunis, le fragile printemps des médias.

Notre dossier sur les révolutions arabes en marche est ici.

(Par Aziz Oguz)

Lire sur arretsurimages.net.