"Troussage de domestique" : le recueil de réactions féministes
Laure Daussy - - 0 commentaires"Troussage de domestique" : l'expression avait été employée par Jean-François Kahn pour qualifier les faits dont était accusé Dominique Strauss-Kahn par Nafissatou Diallo.
C'est cette expression qui fait le titre d'un ouvrage collectif, paru le 1er septembre, et dirigé par Christine Delphy, féministe "historique" des années 70. Il rassemble quelques-uns des textes écrits par des féministes pendant les premières semaines après l'arrestation de DSK. L'affaire DSK y est envisagée comme un "révélateur" de la persistance du sexisme dans la société française. Les contributions sont pour la plupart déjà parues dans la presse, mais leur compilation leur donne une portée nouvelle : le livre inscrit dans le marbre, et dans la durée, les réactions immédiates de féministes révoltées par le traitement médiatique et politique des premières semaines de "l'affaire DSK". On y trouve notamment les contributions des journalistes Clémentine Autain, Audrey Pulvar, Rokhaya Diallo, ou encore de l'avocate Gisèle Halimi. Ce recueil a un "intérêt historique", a souligné Delphy, lors de la conférence de presse de lancement, ce jeudi. |
Les textes ne se prononcent pas sur l'affaire elle-même, mais l'envisagent comme un "révélateur" : "Le sujet du livre, c'est ce que l'immense majorité des réactions de nos élites disent de la société française, aujourd'hui, en 2011", souligne Delphy dans la préface du livre. Et que montrent-elles, ces réactions ? Que trois solidarités sont à l'œuvre sans cette affaire, selon la féministe: "Une solidarité de genre, qui unit les hommes contre les femmes, une solidarité de classe, qui unit les riches contre les pauvres, et une solidarité de race, qui unit les Blancs contre les bronzés".
Plusieurs contributions, dont celle de Delphy, par ailleurs proche du collectif - plutôt controversé - des "Indigènes de la république", souligne ainsi combien le traitement aurait été différent si l'accusé avait été originaire, par exemple, d'une banlieue. "Le viol est réputé exister dans les classes inférieures, n'exister que là (…) Le viol existe chez les Arabes et les Noirs, le viol existe dans le 9-3, aux Minguettes et dans les quartiers nords de Marseille", raille Delphy. "Le viol n'est pas employé pour les classes supérieures, on parle alors de séduction", peut-on lire dans le premier texte intitulé "c'est le plus grand des voleurs, oui, mais c'est un gentleman".
"Présomption de victime"
Le livre revient notamment sur le silence, dans les premiers jours, concernant la plaignante - que Daniel Schneidermann pointait ici, mais aussi sur la manière de minimiser les faits reprochés à DSK, et de décrédibiliser la plaignante : "incrédulité totale" face aux allégations, "théorie du complot". Mais aussi la "présomption d'innocence" martelée, "érigée au rang de marqueur identitaire français", "alors que les Etats-Unis possèdent ce trésor depuis des décennies". Delphy souligne que cette présomption d'innocence n'est jamais mise autant en avant, en France, lorsqu'il ne s'agit pas de puissants. Clémentine Autain ajoute : "N'importe quel autre violeur est d'habitude qualifié dans la presse de violeur présumé, ici, le traitement était différencié." On peut ainsi relire la tribune d'Autain, parue dans Libération et dans le mensuel Regard, demandant un respect pour la "présomption de victime" tout autant que pour la "présomption d’innocence" pour le suspect.
Le livre rappelle aussi quelques chiffres : 75 000 viols par an, dont seulement "10 000 donnent lieu à une plainte" et 2 000 qui aboutissent à une condamnation.Au passage, les auteures égratignent sévèrement la notion, avancée par Irène Théry, de "féministe à la française", qui parlait notamment des "plaisirs asymétriques de la séduction". La notion avait fait débat cet été. "On ne sait pas ce que c'est, c'est un élément de langage pour faire passer les inégalités entre hommes et femmes", lâche Delphy. On peut lire notamment dans l'ouvrage la réponse de l'historienne américaine Joan Scott à Théry, parue dans Libération.
Certaines des auteures, réunies pour la conférence de presse, ont pointé "l'irresponsabilité des socialistes qui veulent voir DSK revenir dans la vie politique". Et insistent, comme nous le précisions dans cet article : "Il n'a pas été blanchi".